Les sept paroles du Christ en croix
Ces sept paroles furent commentées par Saint Bonaventure et popularisées par les franciscains. Elles jouèrent un rôle de premier plan dans la piété médiévale ; rattachées à la méditation sur les sept plaies du Christ, elles furent considérées comme un antidote aux sept péchés capitaux. Dans la Bible sept est le chiffre de la perfection. Dieu a créé le monde et puis s’est reposé le septième jour ; jour d’accomplissement et de plénitude. Ces sept paroles appartiennent à l’accomplissement de cette création. Elles commencent par des paroles adressées au Père, ont pour centre un cri de détresse provoquée par son absence et se terminent en s’adressant de nouveau à lui, à la fin. Sept Paroles sont toutes prononcées par une parole de vie et elles ne peuvent être comprises qu’à la lumière de la Résurrection.
1/7 « Père, pardonne-leur : ils ne savent pas ce qu’ils font » (Luc 23,34)
Le premier mot qui nous est donné est « pardon». Le pardon arrive avant les outrages et la mort. Le pardon est toujours premier. Si Jésus n’avait pas commencé ainsi, le récit de sa Passion nous serait sans doute insoutenable. Alors qu’il vient d’être cloué sur le bois de la croix, Jésus ne crie pas vengeance ni n’accable quiconque de reproches. Non il pardonne à ses bourreaux, vivant ainsi son commandement le plus difficile : « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent » (Luc VI 27) Non seulement il pardonne, mais il intercède en faveur de ceux qui le traite ainsi. Il implore son Père de leur faire miséricorde .
Jésus sait que le Père pardonne sans limite ni condition, et il nous révèle ce mystère de la miséricorde divine sur la Croix, lieu de la torture la plus effroyable. C’est Dieu qui est « pris aux entrailles » pour sa création qu’il aime d’un amour fidèle, d’un amour qui tient bon, quoi qu’il arrive, même le pire. Nous ne tomberons jamais trop bas qu’il ne puisse nous relever. Il ne faudrait pas croire que Dieu ne prend pas au sérieux, bons ou mauvais. Le pardon n’est pas l’oubli. C’est l’inépuisable imagination de Dieu qui se sert de tout, même du mal pour ramener la créature à son amour.
Le pardon signifie que nous osons regarder en face ce que nous avons fait. Nous osons nous souvenir de nos vies, avec leurs échecs et leurs défaites, avec nos manques d’amour et parfois nos actes de cruauté. Nous osons nous souvenir, non pour nous déprimer, mais pour nous ouvrir à cette force créatrice de transformation. Si nous pénétrons dans ce pardon, il va nous changer, nous transformer. Ce qui est stérile portera du fruit. Ce qui est absurde trouvera un sens
Jésus se fait l’avocat auprès du Père de ceux qui le crucifient. Et qu’avance-t-il pour leur défense ? Il invoque l’ignorance : « Ils ne savent pas ce qu’ils font. » Même ceux qui ont prémédité sa mort, les chefs des prêtres et les scribes, ces prétendus savants, n’ont pas su reconnaître l’amour fait homme. Mais il est consolation pour tous les temps et pour tous les hommes. Le Seigneur peut faire de notre ignorance une porte qui peut nous ouvrir à la conversion.
2/7 « Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis » (Luc 23, 43)
« Aujourd’hui, tu seras avec moi au paradis » Le Vendredi Saint, deux jours avant de ressusciter d’entre les morts, Jésus fait cette déclaration surprenante : aujourd’hui le bon larron va le retrouver au paradis. Nous voyons donc que Dieu mesure le temps autrement que nous. Et que Jésus promet d’emmener cet homme au paradis avant même d’être ressuscité d’entre les morts. C’est parce que Dieu vit dans l’Aujourd’hui de l’éternité. L’éternité de Dieu pénètre nos vies maintenant. L’éternité n’est pas ce qui va se passer à la fin des temps, quand nous serons morts. Chaque acte d’amour et de pardon nous met un pied dans l’éternité de Dieu.
« Tu seras avec moi au paradis ». C’est la réponse de Jésus à l’un des condamnés avec lui sur le calvaire. « Jésus, souviens-toi quand tu viendras dans ton Royaume » Parole surprenante alors que l’autre larron insultait Jésus. Celui qu’on appelle le bon larron avait été il impressionné par la présence de Jésus malgré la souffrance ? La réponse de Jésus est bien la preuve qu’avec Dieu il n’est jamais trop tard. Jusqu’à la dernière extrémité la grâce peut faire fondre tout notre passé négatif.
Paul Claudel dira « D’un seul coup, non seulement le larron est absous, mais il est sanctifié…le bandit professionnel est devenu un saint…Il a suffi d’un regard…pour déclencher chez l’invité de la droite…cette explosion de l’éternité » (Un poète regard la croix)
3/7 Jésus dit à sa mère : « Femme, voici ton fils » Et au disciple « voici ta mère » (Jn. 19 ,26 -27)
Le vendredi saint a vu se désintégrer la communauté de Jésus. Judas l’a trahi, Pierre l’a renié, et la plupart des disciples se sont enfuis. Tout le travail de Jésus pour créer une petite communauté semble réduit à rien. C’est alors au moment le plus sombre, que nous voyons cette communauté renaître au pied de la croix. Marie reçoit un fils et le disciple aimé reçoit une mère.
Jésus mourant voit donc l’Eglise naître sur la croix. A l’heure la plus sombre, alors que la haine semble avoir triomphé, le Christ reconnait à ses pieds le germe de la famille qu’il a voulu formé en venant dans ce monde. Voilà pourquoi il n’appelle pas Marie « mère », mais « femme », comme aux noces de Cana. Car elle est la nouvelle Eve. La première était « la mère de tous les vivants ». La nouvelle est la mère de tous ceux qui vivent par la foi.
Le disciple bien-aimé, celui-là même qui a posé sa tête sur la poitrine du Maître à la dernière Cène, reçoit Marie comme mère. C’est une préfiguration de tous les futurs disciples qui prendront aussi pour mère Marie. L’Evangile nous dira : « A partir de cette heure-là, le disciple la prit chez lui » Jean ne se contente pas d’accueillir Marie dans sa maison et de prendre soin d’elle matériellement et affectivement, il la prend dans la profondeur de son être. Et comme le dit Benoît XVI « Il l’accueillit dans sa propre réalité, dans son propre être .Si bien qu’elle fait partie de sa vie et que les deux vies s’interpénètrent …Jésus laisse donc à chacun des ses disciples, comme héritage précieux, sa propre mère, la Vierge Marie »
4/7 « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » (Marc XV 34)
« Quand arriva la sixième heure, l’obscurité se fit sur toute la terre jusqu’à la neuvième heure » (v.33) Après avoir été crucifié, puis avoir subi trois heures d’injures, d’insultes et de moqueries, Jésus plonge pendant trois heures dans les ténèbres de la mort qui enveloppe tout. Le silence règne sur le Golgotha. Même la voix de son Père ne se fait pas entendre comme après son baptême au Jourdain ou lors de la transfiguration.
Comment comprendre cette prière que Marc prend soin de transmettre tel que Jésus mourant l’a formulée en araméen : « Eloï, Eloï, lama sabactani ? » « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » Ces mots terribles de Jésus sont une citation du Psaume21. Quelqu’un, plusieurs siècles auparavant, avait connu l’angoisse et avait écrit ces mots. Maintenant Jésus les reprend et se les approprie. Il fait l’expérience de la même désolation. Même l’expérience de l’absence de Dieu est, d’une certaine manière, assumée au cœur de la vie de Dieu.
Oui, le fils de Dieu vit jusqu’au bout l’angoisse de la mort et de l’absence apparente de son Père. Benoît XVI dira encore : « Le cri dans l’extrême tourment est, en même temps, certitude de la réponse divine, certitude du salut, non seulement pour Jésus lui-même, mais pour les multitudes.
5/7 « J’ai soif » (Jean XIX 28)
Voilà plusieurs heures que le Christ a été crucifié. Il est broyé par la souffrance, tuméfié, asphyxié, assoiffé. Il connaissait le Psaume XXI 15-16 : « Je suis comme l’eau qui se répand, tous mes membres se disloquent. Mon cœur est comme la cire, il fond au milieu de mes entrailles. Ma vigueur a séché comme l’argile. Ma langue colle à mon palais ». Aussi comme le note l’Evangéliste « Après quoi, sachant que désormais tout est achevé, pour que l’Ecriture fut parfaitement accomplie, Jésus dit : J’ai soif » (Jean 19, 28)
Sur la croix, culmine la demande que Jésus avait adressée à la Samaritaine : « Donne-moi à boire » (Jean IV 7) Aujourd’hui sur la Calvaire, comme hier près de la source de Jacob, Jésus a soif non seulement de l’eau du puits, mais surtout d’amour. « J’ai soif, je brûle du désir d’être aimé » confiera-ti-l à sainte Marguerite-Marie Alacoque. Et que reçoit-il en guise de réponse ? Une boisson vinaigrée, symbole de l’indifférence, de l’ingratitude et de la méchanceté des hommes. « J’espérais un secours, mais en vain, des consolateurs, je n’en n’ai pas trouvé….quand j’avais soif, ils m’ont donné du vinaigre » (Psaume 68, 21-22)
Au XVIe siècle, la mystique Julienne de Norwich écrivait : « Cette soif et cette aspiration qu’il eut sur l’arbre de la croix…furent en lui de toute éternité ». Dieu est donc entièrement pris par la soif qu’il a de nous. Et cela depuis notre naissance jusqu’à notre dernier jour. Et il est consolé quand par compassion, nous donnons « à boire, même un vers d’eau fraîche, à l’un de ces petits en qualité de disciple » (Mt X 42)
Sa soif est étanchée lorsque nous aimons come il nous aimés.
6/ 7 « C’est achevé » (Jean XIX 30)
Un vase était là, rempli de vinaigre. On mit autour d’une branche d’hysope une éponge imbibée de vinaigre et on l’approcha de la bouche de Jésus. Quand il eut pris le vinaigre, il dit : « Tout est achevé et inclinant la tête il rendit l’esprit ». Le cri de Jésus ne signifie pas simplement que c’est fini et qu’il v a mourir. Cela signifie « c’est accompli » J’ai achevé ma mission et sur la croix nous voyons la perfection de l’amour. Cet accomplissement de l’amour, au-delà de toute limite, est pleinement atteint quand Jésus meurt en croix.
L’œuvre de salut que le Père lui a donné à faire et pour laquelle Jésus est venu parmi nous est maintenant consommée. Car, en « devenant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix » (Phil. II 8), Jésus a transformé l’acte le plus inique- sa crucifixion- en acte de don, de pardon, d’amour surabondant. Il a scellé dans son sang versé « la nouvelle et éternelle alliance » entre Dieu et les hommes, ainsi réconciliés. Oui, l’Agneau de Dieu a enlevé le péché du monde, il nous a libérés des entraves du mal et ouvert l’accès à la vie éternelle. Benoit XVI dira aussi : « La croix …est le ‘’oui’’ de Dieu à l’homme, l’expression extrême de son amour et la source d’où jaillit la vie »
7/7 « Père, entre tes mains, je remets mon esprit » (Luc XXIII 46)
« C’était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la terre entière jusqu’à la neuvième heure. Le voile du sanctuaire se déchira par le milieu, et jetant un grand cri, Jésus dit : ‘‘Père entre tes mains, je remets mon esprit ‘’ » La première et la dernière des sept paroles sont adressées au Père. La quatrième, l’est aussi, mais en l’absence apparente de Dieu. Entre temps, il s’est adressé à nous, de façon de plus en plus intime : comme un roi, d’abord, puis comme un frère et comme un mendiant. Maintenant il rend tout à son Père. C’est l’acte de confiance suprême.
Maintenant que Jésus a prononcé sa dernière parole sur la croix. Le silence règne. Nous devons attendre que la résurrection brise le silence du tombeau. Et pendant ce temps je vous invite à regarder le crucifix de Saint Damien qui a bouleversé toute la vie de Saint François. Et nous le regarderons avec la prière d’une sœur franciscaine qui l’a contemplé toute la nuit :
Frère Max de Wasseige
« Jésus, longuement je t’ai regardé. Inlassablement je t’ai contemplé.
Mais tes yeux n’ont pas rencontré les miens. Ton regard, Jésus est ailleurs.
Il est en avant, il est au-delà du palpable, il plonge dans l’infini.
Tu contemples l’immense foule des hommes errant sans berger,
Tous ces êtres meurtris, blessés, torturés.
Et tu m’as appris Jésus que plonger mes yeux dans tes yeux,
C’est plonger mon regard dans cette humanité meurtrie,
C’est regarder mes frères, les tiens, avec ton visage de paix, de sérénité.
Jésus, apprends moi à parler avec mes yeux. »
« Il n’y a de chemin que par un amour très ardent du crucifié » (Saint Bonaventure)