Parabole des invités qui se dérobent
Dieu est rarement celui que j’attendais. Il semblerait que la réciproque soit vraie : je ne suis pas non plus celui que Dieu attendait ! C’est ce que raconte la Parabole des invités qui se dérobent. Les Paraboles partent souvent d’un événement apparemment banal de la vie des gens et du monde, mais presque toujours il y a quelque chose d’inattendu, d’anormal et même d’exagéré. Jésus veut frapper l’imagination de ses auditeurs et surtout leur faire découvrir un autre visage de Dieu. « La Parabole ouvre sur un ailleurs, un toujours plus loin, toujours plus profond. Elle fait de nous des chercheurs émerveillés qui n’auront jamais fini de comprendre ». (Jean Sulivan)
Jésus commence en parlant d’un grand diner organisé par un homme qui devait être riche et disposer de grands moyens. Naturellement il n’invite pas n’importe qui. Il appelle ses amis, des gens riches et influents. Le banquet servira à renforcer les liens d’amitié, c’est toujours intéressant dans les affaires ! Ceux qui écoutent Jésus savent qu’ils ne pourront jamais prendre part à un tel banquet.
L’homme a invité tout le monde bien à l’avance. Il aura ainsi le temps de surveiller les préparatifs, « Les viandes grasses et les vins capiteux » dont parle Isaïe. Les convives auront le temps de se préparer. Au jour dit, il envoie ses serviteurs pour confirmer l’invitation : « Venez, maintenant tout est prêt ».C’est un geste de courtoisie habituel dans la bonne société. Mais curieusement tous s’excusent. Et les raisons ne sont guère valables.
Le maître dans la Parabole réagit de façon surprenante. Il y aura un banquet quoiqu’il arrive ! Et ici je m’inspire de la même Parabole chez Luc (Luc XIV 16-24) qui retient mieux la pensée de Jésus. Au maître vient une idée insolite : Il fera venir ceux que personne n’invite jamais : « Tous les pauvres, les estropiés, les aveugles, les boiteux » des miséreux qui ne lui apporteront aucun honneur. Pour les réunir, le serviteur devra parcourir « les places et les rues » des quartiers pauvres de la ville, à l’écart de la zone réservée à l’élite.
Les auditeurs en demeurent bouche bée : qu’adviendra-t-il de ce banquet où toutes les règles de la bienséance et de l’honneur sont transgressées ? Ils vont être plus étonnés encore. Voyant qu’il reste des places vides, le maître donne un autre ordre plus surprenant encore. Le serviteur sortira de la ville, il ira « par les chemins le long des clôtures » qui bordent les propriétés, réunir tous les gens qui vivent comme ils peuvent, hors des murs de la cité. Ce sont pour la plupart des gens de mauvaise renommée.
Qui peut imaginer un banquet ouvert à tous, sans liste d’invités, sans normes d’honneur, ni code de pureté et où l’on admet des inconnus ? Le Royaume de Dieu serait-il ainsi ? Une table ouverte à tous, sans condition : hommes et femmes, purs et impurs, bons et méchants ? Une fête dans la quelle Dieu serait entouré de pauvres, de gens infréquentables, sans honneur ni dignité ?
Dieu est ainsi. Il ne veut pas rester éternellement seul au milieu d’une salle vide. Le plaisir de Dieu est que les pauvres, les laissés-pour-compte, les indésirables puissent se réjouir auprès de lui. Oh, laissez-moi vous redire Dostoïevski dans Crime et châtiment : « Au jour du jugement Dieu nous convoquera : allons approchez vous-autres ! Venez les ivrognes, venez les infâmes, venez les indignes ! Et les raisonnables s’écriront : Comment vous les recevez ceux-là aussi ! Et il leur répondra : Si je les reçois c’est que pas un d’entre eux ne s’en est jugé digne…Et il nous ouvrira les bras et nous nous y jetterons…et nous fondrons en larmes et nous comprendrons tout ! »
Frère Max de Wasseige
