Homélie (1) du dimanche 17 décembre 3ème dimanche de l’Avent – Année B

« Qui es-tu ? »

« Il y eut un homme » dira Saint Jean. Et l’homme posait question. Par cinq fois les émissaires vont lui demander : « Qui es-tu ? ». Car l’homme avait une parole forte, une vie libre, une ascèse impressionnante : « Es-tu le Messie ? Es-tu Elie emporté jadis par un char de feu ? Es-tu le grand prophète annoncé ? » Et chaque fois l’homme dira : « Non ce n’est pas moi »

J’aimerais me cacher derrière ces questions où il y recherche, débat, interrogation et pourquoi pas doute ! Eloi Leclerc dira justement : « La foi n’est pas une certitude scientifique, c’est une vie avec ses ombres et ses lumières, ses hauts et ses bas. C’est paradoxalement lorsque l’on doute que l’on est le plus croyant. Car le doute brise les certitudes et laisse place à la foi confiante et désarmée ».

D’ailleurs les hommes habités que j’ai rencontrés n’étaient pas des hommes de certitudes, des dogmes ambulants, des guides infaillibles. Ils ne faisaient pas partie des ces hommes providentiels qui ont réponse à tout et vont sauver la planète ! Ils se taisaient sur l’essentiel, et c’est toute leur vie qui posait question. Quand je regardais leurs yeux, j’avais envie d’être meilleur. Quand j’entendais l’intonation de leur voix, elle m’allait jusqu’au fond de mon cœur. Comme Jean-Baptiste, ils étaient une voix, parfois mélodieuse, parfois forte. Mais chaque fois ils ramenaient à la seule certitude : « Il y a Quelqu’un au milieu de vous que vous ne connaissez pas »

La certitude reste question, elle n’enferme pas dans un dogmatisme fermé. Elle met en chemin. On ne chemine d’ailleurs qu’avec une question chevillée au cœur. Je ne vous cache pas mon malaise face à ces militants d’Eglise qui veulent vous faire rentrer dans leur corporation. Je suis souvent rebelle à leur discours avec ce reproche subtil : « Vous ne croyez pas comme nous, vous avez tort ». Le Père Rondet s.j. disait : « Gardons-nous de faire trop vite parler Dieu, ce qui pourrait être une parole subtile de ne pas l’entendre ».

Le message chrétien doit se manier avec délicatesse, afin que nos interlocuteurs ressentent notre tâtonnement et notre inquiétude passionnée d’être à Dieu. Car il restera toujours la grande question : « Pourquoi ce silence de Dieu devant l’innocence souffrante ? » « Pourquoi tant de violence dans le pays où Jésus a versé son sang pour réunir tous les enfants dispersés ? » Comme je me retrouve dansJob « Si je vais vers l’Orient il est absent, vers l’Occident je ne l’aperçois pas » (XXIII 8) L’absence de Dieu dans tous les drames de l’humanité restera toujours une question. Mais nous pouvons dire avec la poétesse Marie Noël « l’heure terrible où Dieu n’est pas vrai et je continue à l’aimer quand même »

La foi restera toujours demi-lumière, demi-obscurité. Clair obscur, à la fois jour et nuit, certitude et doute, peur et confiance. Il y a toujours vertige et saut dans l’inconnu. Quand on est venu chercher Jean dans sa prison pour lui couper la tête, celui-ci, n’est-il pas resté avec la question : Pourquoi ? La voix s’est tue avant celle du Maître, mais la question demeure : Pourquoi tant de violence ? Pourquoi Dieu se tait –il au moment où l’on veut faire taire la voix du prophète ? « Pourquoi m’as-tu abandonné ? » dira plus tard Celui dont Jean ne se sentait pas digne de défaire la courroie de sa sandale.

Eternelle question au cours des âges, éternel Avent, éternelle attente toujours différée. Peut-être mourons-nous avec nos questions mais elles font partie de la grandeur de notre humanité. Ces questions qui reviennent sans cesse dans l’Evangile de ce dimanche m’ont fait penser à ce qu’écrivait Rilke dans les « lettres à un jeune poète » :

« Efforcez-vous d’aimer vos questions elles-mêmes, chacune comme une pièce qui serait fermée, comme un livre écrit dans une langue étrangère. Ne cherchez pas pour le moment des réponses qui ne peuvent vous être apportées, parce que vous ne sauriez pas les mettre en pratique, les vivre. Et il s’agit précisément de tout vivre. Ne vivez pour l’instant que vos questions. Peut-être, simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses »

Qu’il serait beau cet Avent plein de questions sur l’enfant à naître !

Qu’il serait beau ce temps de l’attente où nous chercherions inlassablement la pureté et l’innocence de l’enfance !

Alors peut-être serions-nous prêts à rentrer dans l’adoration de Noël. Car n’est-ce pas l’enfant la réponse !

« Pourquoi l’absence dans la nuit.

Le poids du doute et nos blessures,

Sinon pour mieux crier vers lui,

Pour mieux tenir dans l’espérance ? »

Frère Max de Wasseige

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