Le Poème
Il nous est peut-être plus facile d’entrer dans le mystère de Noël en contemplant la crèche, en regardant les personnages, en imaginant la scène, la pauvreté, l’angoisse de la mère, l’incompréhension de Joseph.
L’imagination donne forme et couleur au mystère, elle aide l’intelligence à comprendre avec le cœur, à s’émerveiller. Saint Jean s’y prend autrement. Il aborde le mystère par le poème. C’est une autre façon de comprendre. Comme dans l’ouverture d’un morceau de musique, on trouve les principaux thèmes qui vont être développés : Le commencement, la vie, la lumière, les ténèbres, le témoin.
Ce poème ressemble à un triptyque où trois icônes s’ouvrent à notre contemplation :
1er panneau du triptyque : « Au commencement » (V 1 à 5)
Comme le Poème de la Création, la Genèse disait : “Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre” ; mais ici, ce n’est pas le début du temps du monde mais le commencement absolu. Dans ce petit enfant qui n’a conscience que de sa naissance, et d’avoir été expulsé du ventre chaud de sa mère, il y a un commencement absolu. Qui peut comprendre ? On ne peut que se taire, s’agenouiller.
Jean s’est risqué à balbutier quelques mots maladroits, toujours en dessous de la réalité.
Materlinch disait dans sa Préface à Ruysbrock : “Inventés pour les usages ordinaires de la VIE, ces mots sont malheureux, inquiets, étonnés, comme des vagabonds autour d’un trône.” Jean, le mystique, se risque à dire avec des paroles terrestres les secrets du ciel. Dans sa première partie, Jean balbutie quelques mots qui vont sans doute soulever le voile du mystère mais sans enlever le mystère lui même.
Heureusement que l’enfant est là, il rit, il pleure… comprend-t-il ?
“Au commencement, le Verbe était Dieu, tout fut par lui, en lui était la VIE, la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée.”
2ème panneau du triptyque : (v 6 à 13)
Il y a un témoin autre que Marie et Joseph, un témoin préparé avant la naissance qui préparera la route, qui la montrera. Sans être la lumière, il rendra témoignage.
Puis, il y a cette phrase qui reste d’une brûlante actualité. “Il est venu dans son propre bien et les siens ne l’ont pas accueilli”. Hier comme aujourd’hui, l’enfant de la Paix est toujours difficilement accueilli, même à l’emplacement où il est né.
Et nous arrivons au centre du Triptyque (v 14-18)
Jean résume l’essentiel du Mystère par cette phrase dont nous ne comprendrons jamais toute la portée, toute la densité : “Et le Verbe s’est fait chair.” Le Verbe a commencé à exister dans la condition humaine, dans la fragilité. Le Verbe, la Parole, s’est fait “enfant” (infans = non parlant). La Parole va commencer par se taire. Elle va pleurer comme un enfant avant de s’amplifier à nouveau.
Au fur et à mesure où l’homme va grandir, la Parole va s’amplifier. Elle sera appelante : « Viens suis-moi ». Quémandante : « Donne-moi à boire ». Apaisante : « N’aie pas peur ». Réconciliante : « Tes péchés sont pardonnés ».
Jusqu’au jour où elle se taira, de nouveau, sur la Croix. Mais, c’est à ce moment là que le Verbe sera le plus parlant, qu’il retrouvera toute sa force. Les hommes auront beau refuser la Parole, jouer au Père Noël, jamais ils ne pourront éteindre la lumière qui a brillé dans les yeux de l’enfant.
C’est le signe le plus “ostentatoire” dans un monde “voilé” par tant de lumière artificielle.
Frère Max de Wasseige