Homélie du 25 septembre, 26ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C

L’HOMME RICHE ET LAZARE Luc 16, 19-31

On ne peut pas dire que les paraboles de Jésus laissent indifférent ! Dimanche dernier, déjà, il nous racontait l’histoire de ce gérant malhonnête et malin, en concluant : « Faites-vous des amis avec l’argent trompeur. » Autrement dit : ce n’est pas l’argent qui est sale, c’est l’utilisation que l’on en fait. Est-il, oui ou non, au service de l’autre, des autres, ou bien suis-je enfermé dans le piège de l’autosatisfaction, de l’autosuffisance ?

La parabole que Jésus raconte aujourd’hui vient éclairer, compléter, la précédente. De quoi s’agit-il ? Ou plutôt, de qui s’agit-il ?

Deux hommes vivent très proches l’un de l’autre, à quelques pas. Mais s’ils sont physiquement très proches, ils semblent vivre sur deux planètes différentes, à des années lumière l’une de l’autre. Entre les deux, il y a une frontière étanche, matérialisée par une porte solidement fermée.

D’un côté de la porte, un homme riche qui aime inviter ses amis à des banquets somptueux. Est-ce pour autant un mauvais homme ? L’histoire ne le dit pas. Cet homme n’a pas de nom, comme pour laisser le champ libre à la question : « Serait-ce moi ? »

De l’autre côté de la porte, un homme couvert de plaies, affamé, qui aurait bien aimé manger ne serait-ce que les miettes du repas de l’homme riche. Ce pauvre, lui, a un nom, et comme souvent dans la Bible, ce nom est tout un programme : Lazare, c’est-à-dire « Dieu aide ».

Voici que l’un comme l’autre viennent à mourir et Jésus les décrit accueillis par Abraham. Ce qui est frappant, c’est que la coupure entre l’homme riche et Lazare demeure. Elle s’est même approfondie. On parle désormais d’un abîme qui sépare les deux hommes, un abîme infranchissable. Seulement, les rôles sont inversés. Alors que Lazare connaît la joie de vivre parmi les élus, le riche connaît une solitude terrible et crie sa soif et sa misère. Et cette situation paraît irréversible.

Je voudrais vous partager deux réflexions qui me viennent à l’esprit en méditant cette parabole :

La première, c’est que l’homme est responsable de ses actes. Nos actes nous engagent. Il y a une manière de dire : de toute manière, Dieu qui est tout amour me pardonnera ! qui n’est pas juste. Nos actes nous engagent, et cela veut dire qu’il se joue déjà quelque chose de l’éternité du Royaume à venir dans notre vie concrète aujourd’hui.

Nos actes nous engagent. Mais aussi, et je dirais surtout, les actes que nous ne posons pas. Dans le « Je confesse à Dieu », au début de l’Eucharistie, nous disons : « J’ai péché en paroles, par actions et par omissions. » Le péché en paroles et par actions, nous savons bien ce que c’est. Mais il est rare en confession, d’entendre quelqu’un aborder le péché par omission. Et pourtant, c’est sans doute le plus grand.

La parabole nous dit clairement de quoi il s’agit : le riche n’a fait objectivement aucun mal à Lazare. Simplement, il l’a ignoré. Il a vécu tranquillement comme si le pauvre a sa porte n’était pas une personne, même pas un chien qui a droit aux miettes de son repas. Jésus nous invite à reconnaître que nous sommes souvent aveugles et sourds à la misère de nos frères.

C’est valable pour chacun de nous mais aussi pour une société tout entière.

Voilà le deuxième enseignement de la parabole : le péché a toujours à voir avec la relation, ou plutôt l’absence, ou le dysfonctionnement, de la relation.

Je parlai tout à l’heure de frontières. Il est important de comprendre et de réaliser que nous vivons chacun dans un monde bordé de frontières. Tout simplement parce que nous avons besoin d’un minimum de sécurité pour vivre. Ainsi, nous vivons chacun dans notre petit monde avec notre réseau de relations, forcément limité. Il y a un tri, conscient ou inconscient, qui s’opère entre les gens fréquentables et les autres. Il n’y a pas là de jugement moral. Nous sommes faits comme cela.

Tout à l’heure, en sortant de la messe, observez les cercles d’amis qui spontanément se forment. Et il n’y a pas de mal à avoir du plaisir à retrouver ses amis. La difficulté vient quand les frontières deviennent étanches, quand on n’arrive pas à passer d’un cercle à l’autre, ou à ouvrir son cercle à une personne nouvelle. Et plusieurs d’entre vous m’ont partagé qu’ils ne restaient pas parce qu’ils ne se sont pas sentis accueillis.

Jésus vient questionner la pertinence de nos frontières. Il vient nous demander s’il n’y a pas quelque porte derrière laquelle un pauvre tend la main. Et le pauvre est souvent tout proche : c’est la cousine déprimée qui voudrait bien venir rompre sa solitude, un enfant ou mon conjoint qui a besoin que je m’arrête et prenne du temps avec lui… Tous ces appels du quotidien que je ne vois pas, ou ne vois plus, parce que je suis absorbé par des tâches à accomplir ou tout simplement parce que je n’ai pas envie d’être dérangé, ou encore parce que je ne sais pas comment entrer en relation.

Jésus vient questionner la pertinence de nos frontières familiales, sociales, religieuses mêmes. Vous avez remarqué que Jésus vient toujours remettre au centre, au cœur de la communauté celui qui en était soigneusement tenu à l’écart : le lépreux, l’aveugle sur le bord du chemin, la prostituée, l’enfant, tous les pécheurs et publicains… Et c’est bien cette remise en cause qui fera sa perte.

Nous n’avons pas spontanément un cœur ouvert à tous. Nous n’avons pas une capacité d’amour infini. Seul Dieu est amour sans limite.

Par contre, cette semaine, nous pourrions nous demander s’il n’y a pas une personne, simplement une, qui attend derrière ma porte. Une personne qui attend d’être regardée non plus comme une personne à problèmes, mais comme un frère, une sœur, appelé par son nom.

La joie naît et grandit au fur et à mesure que les portes s’ouvrent…

Frère Nicolas Morin

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