Homélie du 26 juin, 13ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C (frère Max de Wasseige)

« Cette Parole est dure »

On est un peu abasourdi par la dureté de ces textes, j’aurais même envie de parler de l’inhumanité de la première et de la deuxième lecture. Elisée quitte ses bÅ“ufs pour suivre Elie, et lui demande seulement : Â« Laisse-moi embrasser mon Père et ma mère et je te suivrai. Â»Elie lui répondra sèchement : Â« Va-t’en, retourne là-bas ! Â» (I Rois XIX)  Et Jésus va récidiver la même dureté par trois fois.

A l’homme séduit par Jésus et qui veut le suivre partout, Jésus lui dira : Le Fils de l’homme est sans domicile fixe ! Es-tu prêt à lâcher les amarres vers l’inconnu ? A cet autre homme qui demande un moment pour rendre le devoir le plus sacré : Â« enterrer son père Â», déposer en terre son ultime racine. Jésus aura des paroles rudes : « Laisse les morts enterrer les morts Â».Nous savons pourtant l’importancedu  deuil. Les anthropologues diront que l’homme devient homme lorsque apparaît  le culte des morts. Pourtant Jésus a connu cet accompagnement de la mort. Il a même pleuré son ami Lazare.

On se serait même attendu à un minimum d’humanité dans la permission d’un adieu  à ses proches. Là aussi la réponse cinglante : « Quiconque met la main à la charrue, puis regarde en arrière , n’est pas fait pour le royaume de Dieu. Â»(Luc IX 62)  Il y a de quoi décourager toutes les  bonnes volontés. S’il faut vraiment tout donner, tout de suite, qui est prêt à suivre ainsi le Christ ? Si le moindre signe de repli, la moindre question entraîne cette réponse cinglante qui peut encore le suivre ?

Comment comprendre cet Evangile ? Je pense que ces textes provocateurs ont été dit dans l’urgence et la précipitation, face à l’angoisse de la mort inéluctable : Â« Jésus, durcit sa face,(littéralement) prit la route de Jérusalem Â». ce sont des paroles à l’emporte-pièce de celui qui veut sauver l’essentiel. En plus ces paroles sont dites en chemin. Le prophète est propulsé en avant, comme si le feu le poursuivait sur le chemin poudreux. Pas question de s’arrêter !

Le prophète est bousculé de toute part : Par son angoisse personnelle, par les disciples qui ne comprennent rien et qui croient que le chemin est facile, et par les Samaritains qui barrent la route. Il lancera alors des images fortes, burinées dans le désert, façonnées dans les nuits de prière. Paroles d’un homme souffrant de l’incompréhension et de la méchanceté des hommes.

Mais Jésus veut libérer l’homme de toutes ces impasses où il adore se fourvoyer. D’abord du nationalisme religieux des Samaritains. Ensuite Jésus veut libérer les disciples de leur colère vindicative. Il y a encore aujourd’hui des< foudres-benis >qui voudraient accaparer le feu du ciel pour purifier l’humanité ! Enfin Jésus veut nous libérer de certains liens familiaux qui nous paralysent et empêchent  notre marche. Saint Paul nous a dit : Â« Vous avez été appelés à la liberté Â» (Gal. V 13)  Qui peut dire qu’il est totalement libre par rapport à ses parents, ses enfants, son conjoint ?

Nous avons à tenir ferme la charrue de nos vies et regarder droit devant nous le sillon à tracer, sans passer notre temps à regarder en arrière , le bon vieux temps où nous étions jeune, performant et souple. Le drame c’est qu’on nous présente des charrues de plus en plus rapides, séduisantes et polluantes !  Mais le plus important n’est pas la charrue , mais le sillon, le chemin, le sens de notre vie.

L’intérêt de ces textes déroutants c’est qu’ils nous enlèvent nos repères  confortables et nos confortables pensées. Creuse ton sillon, le tien, mais ne lâche pas ta charrue, même si elle est démodée, rouillée ! Bien sûr que la route n’est pas tracée d’avance, car comme le dit le prophète Breton : Â« Là où la route est tracée d’avance, je perds mon chemin. Â» Mais laisse la parole brûlante te réchauffer le cÅ“ur, car « les vraies lectures sont brûlantes. Â»(Bobin)

« Ami, c’en est assez. Si tu veux lire encore, va  et deviens toi-même. » (Angélus Silésius)

frère Max de Wasseige

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