Homélie du 26 juin, 13ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C (frère Nicolas Morin)

Je voudrais méditer avec vous l’appel du jeune Elisée par le prophète Elie.

Elie est laboureur. Il achève juste de labourer ses douze arpents de terre. Les chiffres, dans la Bible, sont souvent symboliques. Douze, c’est le chiffre de la plénitude, de l’accomplissement. Elisée est parvenu au bout de sa tâche. L’heure de jeter un regard sur le travail accompli.

En cette fin d’année scolaire, nombreux parmi nous sont ceux qui ont fait le bilan de leur année au sein de tel groupe ou association auxquels nous appartenons. Mais, plus profondément, il est aussi des moments dans notre vie où nous sentons le besoin de nous poser, de faire le point, de relire le chemin parcouru pour discerner à quoi le Seigneur nous appelle.

Quel regard vais-je poser sur le champ de ma vie ? Est-il fait de sillons bien droits, sans une mauvaise herbe ? Sans doute pas. Pour creuser le sillon, le soc de charrue s’enfonce dans la terre pour la retourner. Il lui fait en quelque sorte violence, il la blesse. Et c’est au creux de cette terre blessée que s’ouvre le sillon où le semeur pourra planter sa semence. De même, Dieu vient planter dans nos vies parfois blessées, abîmées, souffrantes, la semence de sa propre vie qui donnera du fruit en abondance.

Voilà la première réflexion à laquelle nous invite ce récit de la vocation d’Elisée : Notre terre, notre vie, même blessée, forcément blessée, est belle et bonne, parce qu’elle est fécondée, habitée par l’Esprit de Dieu.

La deuxième chose qui ressort de ce texte, c’est que Dieu appelle l’homme dans le quotidien de sa vie. Allez lire dans la bible les différents récits de vocation : Elisée est agriculteur ; Moïse et David gardent les moutons : Gédéon bat le blé ; Samuel est en train de dormir dans le Temple ; Saül rentre des champs derrière ses bœufs ; Mathieu, lui, est assis à son bureau de la douane et les premiers disciples sont en train de nettoyer leurs filets au retour de la pêche. Dieu nous rejoint souvent dans nos vies quotidiennes, là où on ne l’attend pas.

Elisée vient d’accomplir sa tâche et il aspire sans doute à se poser un peu et jouir de son travail, regarder pousser la semence enfouie dans la terre, puis rentrer la récolte dans ses greniers. C’est autre chose qui l’attend. Le prophète Elie surgit au bord de son champ et lui lance son manteau. C’est une manière de lui transmettre le flambeau, de lui signifier ainsi le choix de Dieu. Une vie nouvelle commence pour lui.

Seulement, s’ouvrir à la vie nouvelle, accueillir une nouvelle mission, c’est accepter de quitter ce que nous faisions jusqu’alors, ceux que nous avions appris à connaître et à aimer. Ceux qui ont appris leur mutation, religieuse ou professionnelle, en cette fin d’année scolaire connaissent bien ce déchirement, même si la mission proposée ailleurs est intéressante.

Elisée connaît bien son métier, qu’il aime. Il vit proche de ses parents. Devenir prophète, répondre à l’appel de Dieu, c’est faire le pari de la confiance. Elisée ne se reposera plus désormais sur son propre savoir-faire, mais c’est Dieu qui le guidera au jour le jour.

Elisée tue alors ses bœufs, et avec le bois de la charrue, il allume un grand feu pour les cuire et les partager avec tous ses amis avant de partir. Ses bœufs et sa charrue, c’est tout ce qu’il avait pour vivre. En les sacrifiant, Elisée engage son avenir. Il ne peut plus revenir en arrière.

Je me dis que ses bœufs et sa charrue représentent peut-être aussi le poids des habitudes, ce qui le cloue au sol et l’empêche d’être vraiment libre de vivre et répondre à l’appel du Seigneur.

Les uns et les autres, quand nous avons peur de répondre à un appel nouveau, nous trouvons toutes sortes de prétextes pour ne rien changer à nos habitudes. Nous préférons parfois une vie insatisfaisante au risque d’un avenir que nous ne maîtrisons pas, qui repose sur la confiance en Dieu. Nous voyons bien que l’appel de Dieu est bon, qu’il nous ouvre à la vie, mais nous sommes comme paralysés par la peur de changer, la peur de quitter. Nous regardons en arrière. Nous n’avons pas encore découvert que Dieu nous ouvre à la liberté, la vraie, comme le dit saint Paul : « Frères, si le Christ nous a libérés, c’est pour que nous soyons vraiment libres. Alors tenez bon et ne reprenez pas les chaînes de votre ancien esclavage. »

Qu’est-ce qui peut nous donner la force de répondre oui à l’appel du Seigneur quand il surgit dans nos vies ? Sans doute cette certitude que nous ne serons jamais seuls. Jésus marche à nos côtés. Il nous invite à le suivre, à partager sa propre vie. Il sait que c’est pour nous mission impossible, c’est pourquoi, de même que le prophète Elie couvre Elisée de son manteau, Jésus envoie sur nous son Esprit Saint.

Bien sûr que son appel entraîne pour nous des choix parfois douloureux, difficiles. Mais seul celui qui y a répondu un jour découvre la joie profonde et la liberté intérieure qu’il procure.

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Frère Nicolas Morin
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