RELEVEZ-VOUS ET REDRESSEZ LA TÊTE
Le chapitre 21 de l’évangile de Luc fait partie de la littérature apocalyptique qui commence au IIe siècle avant J.C. avec le prophète Daniel ‒ dont nous avons entendu de larges extraits ces derniers jours ‒ jusqu’au IIe siècle après J.C. (Apocalypse de saint Jean). Ce sont des écrits de combat, de « résistance » qui apparaissent au cours de périodes troublées ou de persécutions. Leur but est de conforter l’expérience de croyants en montrant que quels que soient les soubresauts, parfois dramatiques, de l’histoire, Dieu réalisera ses promesses en faveur de son peuple.
Le discours de Jésus comporte trois parties :
– Une mise en garde pour affronter les épreuves de l’histoire, décrites à travers l’évènement type de la ruine de Jérusalem ;
– L’annonce de la venue inéluctable du Fils de l’homme à la fin des temps ;
– Et enfin une invitation à la vigilance pour vivre chrétiennement ces évènements, tourné vers la manifestation ultime de Jésus.
« Il y aura des signes dans le soleil, la lune et les étoiles. Sur terre, les nations seront affolées et désemparées par le fracas de la mer et des flots. Les hommes mourront de peur dans l’attente de ce qui doit arriver au monde, car les puissances des cieux seront ébranlées. »Ces images ne sont pas à prendre au pied de la lettre.
Cet ébranlement cosmique traditionnel est ici le signe conventionnel du « Jour du Seigneur », de sa venue, et de sa victoire définitive.
On ne peut s’empêcher, pourtant, de faire le rapprochement avec ce que nous vivons : nous ne pouvons ignorer aujourd’hui que notre planète a une fin, et que les choix de vie et de développement que nous avons faits (la minorité la plus riche de l’humanité), accélère sa fin.
Il y a comme un retour au chaos originel où tout est dans la confusion. Or, le récit de la Genèse nous présente la Parole créatrice de Dieu qui vient ordonner le chaos, distinguer les éléments qui deviennent capables de vivre dans une relation harmonieuse.
Jésus, Parole du Père, initie une Création nouvelle, profondément réconciliée. Mais cette terre nouvelle est en travail d’enfantement, avec bien des soubresauts et des souffrances.
Pourtant, Dieu tient parole, il ne revient pas sur sa promesse. C’est là notre assurance. Nous attendons la venue définitive du Christ qui récapitulera la création tout entière dans l’amour trinitaire. « Alors, on verra le Fils de l’homme venir dans une nuée, avec puissance et grande gloire. »
C’est pourquoi Jésus, au cœur même de l’adversité, nous invite à nous redresser et relever la tête, à vivre déjà en ressuscités. C’est au moment où tout semble s’effondrer que nous sommes appelés à relever la tête, à retrouver notre espérance. Ce qui devait nous engloutir, peut finalement nous relever.
« L’Avent est une période où la nuit devient plus longue, plus épaisse. Tandis que nous nous enfonçons davantage dans la nuit, nous nous interrogeons : la nuit va-t-elle gagner ? La joie et l’espérance vont-elles disparaître ? Dans ce combat qui oppose la lumière aux ténèbres, Dieu pose un signe : un nourrisson dans une mangeoire. Un signe qui nous parle : « Souviens-toi, je suis toujours avec toi. » Non, Dieu n’abandonne pas le monde, comme il n’a pas abandonné son Fils dans la tombe.
Veiller et prier sont les moyens que Dieu met à notre portée quand nous sommes confrontés à ce qui est mortifère, au mal, à la tentation. Rester éveillé, c’est refuser d’être dans le déni de réalité, ni dans le pessimisme absolu. C’est renoncer à détourner le regard à force d’« ivresse » et de « beuverie ». Il y a plein de manières de s’enivrer pour refuser d’affronter les difficultés… Il faut aussi éviter de se laisser engloutir par les soucis du quotidien. Résister à la tentation de passer à côté de l’essentiel. Car, nous l’oublions parfois : notre vie, notre monde appartiennent à Dieu. Comment est-ce que je choisis de me positionner par rapport à cette vérité ? À quelle responsabilité vis-à-vis de Dieu suis-je appelée ? », écrit la pasteure Caroline Bretonnes dans La Croix de ce vendredi.
La prière est un acte de vigilance par excellence. L’homme de prière pourra traverser les épreuves du temps et se présenter debout pour le jugement du Fils de l’homme. Restez des hommes éveillés ! C’est le dernier mot de tout ce discours. À la veille de la grande nuit de la Passion, c’est un appel pressant à demeurer des « veilleurs », dans le tourbillon des évènements de l’histoire, afin de ne pas manquer les « passages » imprévisibles de Jésus dans notre vie, en particulier à la fin de notre temps, celui de notre mort.
Frère Nicolas Morin