Homélie du 6 novembre, 32ème dimanche du Temps Ordinaire – Année C

AU RÉVEIL, JE ME RASSASIERAI DE TON VISAGE

Antiochus Epiphane, roi séleucide qui régna de 175 à 164 avant J.C. a la réputation d’être un roi sanguinaire, ennemi juré des juifs à qui il cherche à imposer la culture et le culte helléniques. Le Temple de Jérusalem est profané, on y adore le dieu grec Zeus. Il veut interdire la circoncision, obliger les Juifs à manger du porc, abolir la Loi de Moïse.

Les juifs orthodoxes se révoltent et Antiochus les réprime dans le sang. Mais la résistance est plus forte que prévu et le pouvoir absolu finira par tomber.

Tel est le cadre du martyre des sept frères dont nous parle la première lecture. Leur réaction surprend : ils n’ont pas peur. Leur foi en la résurrection des morts chasse toute peur et fait d’eux des hommes libres. Aucun pouvoir ne pourra les détruire : la vie éternelle leur est déjà donnée.

« Mieux vaut mourir par la main des hommes, quand on attend la résurrection promise par Dieu, tandis que toi, tu ne connaîtras pas la résurrection pour la vie. »

Si les tyrans ne supportent pas les croyants, c’est parce que ce sont des hommes et des femmes libres.

Ils sont libres parce qu’ils n’absolutisent aucun pouvoir. Seul Dieu est digne d’être adoré. Cela relativise tous les pouvoirs de la terre et remet en cause toute tentative d’instaurer un pouvoir absolu.

Ils sont libres aussi parce que leur foi leur enseigne que la vie est plus forte que la mort. La mort physique n’est qu’un passage, une métamorphose, une transformation radicale, certes, mais qui nous plonge dans l’amour même de Dieu, qui fait de nous des fils adoptifs, enfants bien-aimés du Père. Cela donne du poids à notre vie ici-bas. Nos actes d’aujourd’hui ont un poids d’éternité. Ils nous engagent.

Les textes de ce jour expriment à la fois toute la souffrance de notre humanité meurtrie en proie à la violence et à l’injustice et une indicible espérance. Le Psaume 16 l’exprime magnifiquement :

« Seigneur, écoute la justice !

Entends ma plainte, accueille ma prière.

Garde-moi comme la prunelle de l’œil ;

à l’ombre de tes ailes, cache-moi,

Et moi, par ta justice, je verrai ta face :

au réveil, je me rassasierai de ton visage. »

En méditant les lectures de ce dimanche, j’ai en mémoire les cris déchirants qui me parviennent ces dernières semaines de Haïti, de la RDC, du Liban…, en proie au chaos et dominés par des gangs mafieux prêts à tout pour s’enrichir. J’aimerais vous partager ce que m’écrit Enoch, un jeune chrétien de 19 ans qui vit à Goma, dans l’Est du Congo :

« Nous sommes un pays riche, mais, hélas, on ne bénéficie pas de notre richesse. Mon pays est en danger. La génération future est victime innocente. Cela fait presque trois décennies que les personnes sont massacrées comme des animaux. Il est temps que les Congolais en prennent conscience. Tout est bloqué au Congo, l’éducation, le social, l’économie, etc. Les enseignants ne sont pas payés. Les militaires ont un salaire dérisoire. C’est pourquoi, nous, en tant qu’étudiants nous payons beaucoup annuellement parce que ce sont les étudiants qui paient les professeurs. Il y a tout juste un mois, un professeur me disait que les pauvres n’ont pas droit au savoir. Dès lors, je me suis fixé un objectif, je suis déterminé à réussir, peu importe le prix à payer pourvu que je sorte de cette misère. L’éducation c’est l’affaire de tous.

Les médias disent que nous sommes une démocratie mais moi qui vis au Congo, je ne vois pas en quoi c’est une démocratie. Après mure réflexion, je pense que c’est le despotisme, la dictature, qui s’est instaurée depuis plusieurs années. Il n’y a pas de libre expression, on est massacré si on souhaite s’engager pour notre pays. C’est pourquoi de nombreux jeunes vivent dans le désespoir. Ils trouvent que le seul moyen pour eux de vivre bien, c’est de tomber dans la débauche, filles tout comme garçons.

Et pourtant je garde le sourire. Je suis optimiste de nature. Je crois en Dieu. »

Comment croire en la vie quand tout autour de nous semble parler de mort ?

Tel est pourtant le cœur de notre foi. Jésus l’affirme : « Je suis la Vie. » Une vie communicative : « Je suis venu pour que vous ayez la Vie en abondance. »

En allant à la rencontre des pauvres et des exclus de son temps, Jésus retisse le fil de la relation, leur redonne la fierté d’être enfants bien-aimés du Père. Et toute leur vie en est transformée. Ils sont déjà ressuscités avec le Christ.

Vivre, c’est donc être relié.

Jésus nous révèle que ce lien ne s’efface pas avec la mort, mais qu’il se transforme. Il va vivre ce paradoxe : il n’est jamais aussi vivant que sur la croix ! Sur la croix, Jésus perd tout, toutes ses sécurités, ses amis l’ont abandonné. Il ne lui reste qu’un appui, le seul nécessaire : sa relation avec le Père. Il jette en lui toute sa confiance, toute sa vie : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit. »

Sur la croix, le fil de la relation n’est pas rompu. La relation n’est pas morte ; elle est transformée. Jésus peut alors reprendre à son compte la prière du psalmiste :

« Et moi, par ta justice, je verrai ta face,

Au réveil, je me rassasierai de ton visage. »

Ainsi, quand nous affirmons dans le Credo : « Je crois en la résurrection de la chair », nous ne disons pas que nos corps mortels vont être réanimés. Nous disons notre foi en l’immortalité de la relation. C’est la relation d’amour qui nous unit qui est immortelle.

Et c’est bien ce que n’ont pas compris les Sadducéens qui s’adressent à Jésus pour le piéger avec la rocambolesque histoire de cette femme aux sept maris.

Jésus veut leur faire comprendre que la résurrection n’est pas la reproduction du monde terrestre. Le mariage n’y a plus cours. L’autre monde est autre, indicible, inimaginable. Dire que les ressuscités sont « pareils à des anges » signifie qu’ils sont du côté de Dieu, nés à la condition céleste dont Dieu seul a le secret. « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais des vivants, car tous sont vivants pour lui. » Lorsque Dieu aime, c’est pour toujours.

Frères et sœurs, dès maintenant, nous sommes invités à vivre en enfants de Dieu ressuscités, à être pleinement des Vivants.

Dès maintenant, l’Esprit du Christ ressuscité nous donne la force de transformer nos relations, de vivre pleinement en communion les uns avec les autres, une communion qui ne s’arrête pas aux frontières de la mort mais qui inclut tous ceux qui nous ont précédés et aimés.

« Tu as devant toi la vie ou la mort. Je t’en prie, choisis la vie » Dt 30

Frère Nicolas Morin

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