Homélie (1) du dimanche 15 octobre 2023, 28ème dimanche du Temps Ordinaire – Année A

TOUS INVITES AUTOUR D’UNE MÊME TABLE

Comme elle est déroutante, cette parabole. Il y a d’abord ce roi qui prépare un festin pour la noce de son fils. Mettons-nous dans la tête et le cœur de cet homme, imaginons son bonheur : bonheur des épousailles mais aussi joie de voir bientôt tous les convives attablés tous ensemble, telle une seule et même famille. Ces noces, il les prépare depuis longtemps, depuis toujours même. Et les invitations, elles aussi, sont lancées inlassablement par les serviteurs successifs du roi, les prophètes. Tous attendent la noce avec impatience. Écoutez ce que dit le prophète Isaïe : « Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne, un festin de viandes grasses et de vins capiteux, un festin de viandes succulentes et de vins décantés […] Le Seigneur essuiera les larmes sur tous les visages… » Le peuple d’Israël sera le précurseur, le signe du rassemblement final de toutes les nations sur la montagne du Seigneur, la Jérusalem céleste.

Du coup, nous comprenons mieux pourquoi rien n’est dit de la mariée. Avec qui ce fils va-t-il donc célébrer ses noces ? Qui est cette mystérieuse épouse ? Ne serait-ce pas le peuple lui-même ? D’ailleurs la Bible emploie un autre terme pour parler de ces noces, c’est l’Alliance.

Seulement, rien ne se passe comme prévu. Lorsque le roi envoie ses serviteurs leur dire qu’enfin la noce est prête, qu’ils ne tardent pas, chacun a une bonne excuse pour décliner l’invitation. Pire, alors que le roi insiste – il doit s’agir d’un malentendu, pense-t-il – les serviteurs sont roués de coups et mis à mort. Comment ce peuple qui attend ce moment depuis des siècles peut-il se dérober au dernier moment, refuser l’invitation, ne pas reconnaître dans ce Fils celui qu’ils attendent depuis si longtemps ?

Quelle dût être la souffrance de ce roi voyant certains serviteurs rentrer bredouilles, et les autres massacrés. Nous ne sommes pas très à l’aise avec sa réaction : « Le roi se mit en colère ; il envoya ses troupes, fit périr ses assassins et incendia leur ville. » N’oublions pas que l’évangile de Matthieu est écrit après 70, année qui vit la destruction de Jérusalem par l’Empire romain. Matthieu a pu relire cet évènement comme la conséquence du refus d’accueillir le Christ.

Ce que nous pouvons retenir, pourtant, c’est que la souffrance du roi dilate son cœur, lui ouvre d’autres perspectives : désormais, l’invitation sera faite à tous : « Allez donc aux croisées des chemins : tous ceux que vous trouverez, invitez-les. Tous, sans exception, les bons comme les mauvais. »

Et voilà les serviteurs, sans doute bien étonnés par le comportement du roi, de se remettre en chemin. Et j’imagine l’étonnement de ces hommes et de ces femmes qui se voient remettre l’invitation de la part du roi. Sans doute croient-ils à un canular : ils s’en savent si peu dignes. Et pourtant, ils choisissent de faire confiance et ils arrivent tout heureux d’être eux aussi de la fête. Quel cadeau inespéré pour eux : se retrouver à la table du roi, faire partie de ses convives.

A chaque eucharistie, avant la communion, le prêtre redit cette invitation inouïe : « Voici l’Agneau de Dieu, voici celui qui enlève les péchés du monde. Heureux les invités au repas des noces de l’Agneau. » Et comme, les invités de la parabole, nous répondons, tout étonnés : « Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole et je serai guéri. » C’est peut-être cet échange qui peut nous aider à comprendre l’attitude étrange du roi qui rejette un homme au prétexte qu’il n’a pas revêtu le vêtement de noce. Ce vêtement de noce, c’est le vêtement blanc du baptême, c’est aussi le vêtement de la charité en actes, de celui qui ne se contente pas de dire « Seigneur, Seigneur » mais qui met la parole en pratique. Mais le drame de cet homme, c’est de refuser la main tendue de Dieu, de rester muré dans son silence : « L’autre garda le silence. » Il n’est jamais trop tard pour celui qui s’ouvre à la miséricorde.

Pour finir, j’aimerais vous partager la manière dont ces textes ont retenti en moi dans le contexte mondial que nous vivons. Le drame qui se joue actuellement en Terre sainte, c’est que chaque peuple revendique l’invitation à la table du Seigneur pour lui seul, en tant qu’héritier légitime d’une terre. Et dont l’autre est forcément exclu. Or l’exclusion, l’absence de reconnaissance, engendre forcément la violence. C’est la réaction de celui qui n’a plus rien à perdre. Jésus vient casser cette logique en nous disant que TOUS, les bons comme les méchants, sommes invités à une même table. Il n’y a qu’une seule planète, une seule terre, et elle est pour TOUS.

Il nous faut aussi penser la question des migrations à l’aune de ces textes. Nous qui avons la chance de vivre sur des terres préservées, nous nous les sommes appropriées, comme si nous en étions les seuls propriétaires. Et nous érigeons des murs pour éviter de partager notre part du gâteau. Et nous n’hésitons pas à laisser mourir ceux qui nous tendent la main. Du coup, nous pouvons relire ce passage d’Isaïe comme le rêve de Dieu pour son humanité, un rêve que partagent tous ceux qui doivent fuir leur terre :

« Le Seigneur de l’univers préparera pour tous les peuples, sur sa montagne (notre terre), un festin. Sur cette montagne, il fera disparaître le voile de deuil qui enveloppe tous les peuples. Il fera disparaître la mort pour toujours. Le Seigneur Dieu essuiera les larmes sur tous les visages, et par toute la terre il effacera l’humiliation de son peuple. Le Seigneur a parlé. »

Frère Nicolas Morin

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