ILS N’ONT PLUS DE VIN !
La fête bat son plein à Cana en Galilée. En Palestine, les mariages réunissent tout le village plusieurs jours durant. On rit, on boit, on danse. Pour un moment, on oublie la pauvreté, les impôts écrasants, le pouvoir corrompu. On laisse libre court à la joie.
Jésus fait partie de la fête, ainsi que Marie, sa mère, et ses disciples. Prenez le temps de contempler Jésus au milieu de cette foule joyeuse. Sans doute n’est-il pas le dernier à chanter et à danser. Jésus n’est pas un ascète austère et rabat-joie. Il aime profondément la vie et favorise tout ce qui suscite la communion.
Alors que la fête bat son plein, un cri jaillit soudain : « Ils n’ont plus de vin ! » Personne ne s’en est aperçu, sauf Marie, qui se tourne vers Jésus : « Ils n’ont plus de vin ! »
Ecoutez ce cri jaillir au cœur de notre monde de 2022, au cœur même de notre Église. Nous pensions que la fête de la consommation sans limite jamais ne s’arrêterait, que nous pourrions continuer à danser sur un volcan assoupi, comme si nous pouvions ignorer la souffrance de la terre et des laissés pour compte de la croissance. Mais voilà que nous nous réveillons avec la gueule de bois : « Ils n’ont plus de vin ! » La fête est finie.
Dans l’Évangile de ce dimanche, pourtant, c’est un tout autre épilogue qui nous est donné. Alors que la fête semble condamnée, un évènement va tout changer. C’est d’ailleurs bien étrange…
Marie s’adresse à Jésus comme s’il était le marié et non un simple invité. D’ailleurs, il n’est pas question des mariés dans le récit. Où sont-ils donc ? Qui sont-ils ? Si Jésus est présenté comme le marié, la mariée ne serait-elle pas l’humanité tout entière à qui est offerte une alliance nouvelle, de nouvelles épousailles ? Les noces de Cana ne seraient-elles pas l’annonce d’un monde nouveau ? De même que Jésus transforme l’eau en vin, n’est-il pas capable de transformer radicalement notre vie, à condition d’accepter de mourir à ce qui n’est plus, ne doit plus être ?
Le rôle de chacun des personnages de ce drame a beaucoup à nous apprendre.
Marie, la première, constate le manque. Elle est vigilante, attentive. Elle a un cœur de mère. Face au drame, elle pourrait s’agiter en tous sens pour trouver un peu de vin, cherchant à pallier au manque par elle-même. Elle aurait pu aussi baisser les bras : la fête est morte, il n’y a plus rien à faire ! Non ! Marie se tourne vers Jésus. C’est lui le seul Sauveur. Et elle n’hésite pas à le pousser dans ses retranchements, alors qu’il accueille vertement sa demande, comme si elle le révélait à lui-même.
Jésus résiste puis accepte la mission. Il se conduit alors avec une autorité sereine. Il se tourne vers les serviteurs. Il ne nous sauve pas sans nous. Les serviteurs écoutent la parole de Jésus, même si elle leur paraît un peu folle, et choisissent de lui faire confiance. Ils vont puiser l’eau dans d’immenses jarres de cent litres chacune dans lesquelles les juifs faisaient leurs ablutions avant de manger.
Les convives qui boivent de cette eau goûtent un vin à la saveur inédite, comme ils n’en avaient jamais bu, à tel point que le maître de maison rabroue ses serviteurs : « Pourquoi avoir gardé le meilleur vin pour la fin ? »
Le miracle de l’eau changée en vin, de notre vie transformée, transfigurée par l’amour de Dieu, ce miracle se renouvelle sous nos yeux à chaque Eucharistie. La petite phrase que le prêtre prononce en versant quelques gouttes d’eau dans le vin au moment de l’offertoire exprime merveilleusement le signe qui s’accomplit : « Comme cette eau se mêle au vin pour le sacrement de l’Alliance, puissions-nous être unis à la divinité de celui qui a voulu prendre notre humanité. »
Le vin est comme l’océan de la vie divine dans lequel viennent plonger quelques gouttes d’eau, toute notre vie. Ces quelques gouttes ne changent rien à la qualité du vin. Au contraire, c’est nous qui sortons transformés, bonifiés par cette rencontre.
Le seul homme en qui cette union entre l’humanité et la divinité ait été pleinement vécue, c’est Jésus, vrai Dieu et vrai homme. À chaque Eucharistie, Jésus nous donne de participer à sa vie divine, il nous invite à entrer dans l’Alliance avec Dieu, à dire oui à son désir de nous épouser !
C’est encore ce que Jésus dit et réalise à travers la prière de consécration : « Prenez et buvez-en tous. Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance nouvelle et éternelle, qui sera versé pour vous et pour la multitude en rémission des péchés. »
Frère Nicolas Morin