« Jésus leur déclare, ce jour-là , le soir venu : « Passons sur l’autre rive. » Jésus a longuement enseigné en paraboles, entouré d’une foule compacte. « Le soir venu » évoque « l’heure des ténèbres », l’heure des épreuves. Les disciples auraient bien voulu rester auprès de cette foule bienveillante où ils étaient reconnus, aimés, « comme chez eux ». Mais Jésus les invite à traverser la mer afin de passer sur l’autre rive. L’autre rive, c’est le pays des païens, une terre étrangère. Il faut donc quitter la rive du monde connu, de l’entre-soi, pour se risquer à la rencontre de l’autre. Dieu ne se laisse enfermer dans aucune culture, aucune religion. Chaque personne a le droit de se découvrir aimée par ce Dieu qui se fait proche. Mais entre les deux rives, il y a la mer et ses dangers… « Et arrive un grand tourbillon de vent, et les vagues se jetaient sur le bateau, si bien que déjà le bateau se remplissait. » La barque prend l’eau de toute part. Les disciples se découvrent soudain vulnérables, la vie leur échappe, tout peut sombrer sous la force des flots. La mer, la tempête, évoquent dans la Bible les forces démoniaques, celles qui attisent nos peurs, nous paralysent, brouillent notre regard sur les autres. Qui n’a pas connu le vertige du doute et de la peur au moment de commencer une nouvelle mission pour laquelle nous nous sentions si peu préparés ? Et quelles sont ces peurs de l’étranger, de l’autre si différent de moi qui m’envahissent par moment ? Ces peurs nous habitent tous. Il nous faut les reconnaître, les nommer, les accueillir si nous voulons les surmonter. Sinon, ce sont nos peurs qui mènent notre barque. Cela est vrai, bien sûr, des peurs collectives qui déferlent en ce moment sur notre monde. « Et lui était à la poupe, dormant sur l’oreiller. » Jésus est à l’arrière du bateau, et il dort. Comme s’il était absent. Comme si la tempête ne le concernait pas. « Et ils le réveillent et lui disent : « Maître, cela ne te fait rien que nous soyons en train de couler ? » Face au danger, à la peur de la mort, les disciples se retrouvent seuls. Dieu est comme absent. Où es-tu, Jésus, quand je souffre, quand toutes mes sécurités s’effondrent, quand me barque est ballotée par les vagues ? Ils secouent Jésus, l’accusent d’être insensible à leur détresse. Ils ne le comprennent pas. Pourquoi est-il absent au moment où ils auraient le plus besoin de lui ? « Et s’étant remis debout, il s’emporta contre le vent, et il déclara à la mer : « Silence, tais-toi ! » Et le vent tomba, et ce fut le calme plat. » Jésus ne polémique pas avec ses disciples. Il se lève, comme il se lèvera du tombeau le matin de Pâques. C’est bien le Jésus ressuscité, victorieux de la mort et de tout mal, qui intime l’ordre à la mer de se taire : « Silence, tais-toi ! » Jésus utilise la même formule pour faire taire les démons (Mc 1, 25). Jésus n’invoque pas son Dieu mais affronte lui-même les éléments déchaînés. Il émane de lui une autorité souveraine. À la violence de la tempête succède le calme plat, un silence soudain qui laisse les disciples abasourdis, sans voix. Et Jésus de leur dire : « Pourquoi avoir peur ? Vous n’avez pas encore la foi ? » Il en a de bonnes, Jésus ! Comme s’il n’y avait pas de raisons d’avoir peur ! Croire en Jésus ne diminue en rien la force du vent et des vagues. Le croyant n’est pas assuré contre les difficultés de la vie ! Mais au coeur même des difficultés, il fait l’expérience d’une présence. Jésus est là , discrètement, silencieusement, qui marche à nos côtés. Et parce que lui-même a traversé la mort pour se relever du tombeau, il nous invite à passer avec lui de la mort à la vie. « Et la crainte, une grande crainte, les saisit, et ils se disaient entre eux : « Qui est-il donc, celui-ci, que même la mer et le vent lui obéissent ? » Les disciples passent de la peur à la crainte. Entre la peur et la crainte, il y a l’abîme de la foi. Et la foi a pour centre la question finale qui anime tout l’évangile : « Qui est-il donc, celui-ci, que même le vent et la mer lui obéissent ? »
Seigneur Jésus, Tu m’invites à quitter la rive d’une vie bien rangée pour me risquer à la rencontre de l’autre. Ma barque est si petite, si fragile pour affronter la force du vent et des flots. Sans toi, je suis perdu. Viens faire taire en moi tant de peurs qui me paralysent et me font souffrir. Lève-toi afin que je passe avec toi de la peur à la confiance, de la mort à la vie, du doute à la foi.
Frère Nicolas Morin