Homélie du dimanche 18 août 2024, 20ème dimanche du temps ordinaire – Année  B, du frère Nicolas Morin

JE SUIS LE PAIN DE VIE

Nous recevons ce dimanche 18 août la suite du long discours de Jésus sur le Pain de Vie. Des paroles de Jésus qui sonnent un peu étrangement à nos oreilles : « Moi, je suis le pain vivant descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. » Comme les interlocuteurs de Jésus, nous nous demandons : « Comment cet homme-là peut-il donner sa chair à manger ? »

Vous l’avez remarqué, des mots reviennent sans cesse dans ce passage : le pain que Jésus assimile à sa chair, le vin qui est son sang. Le but de ce don de Jésus, c’est la vie, notre vie, une vie pour toujours, éternelle. Comment accéder à cette vie ? En mangeant ce pain, corps du Seigneur, en buvant le vin, sang du Seigneur. Jésus s’offre en nourriture.

Le bon sens nous arrête tout de suite. « Comment cet homme-là peut-il donner sa chair à manger ? », réagissent les juifs qui l’écoutent. Et des textes du premier siècle accuseront les chrétiens d’être des anthropophages, de sacrifier des petits enfants lors de leurs liturgies.

Deux réflexes sont nécessaires pour ne pas nous laisser piéger par une lecture trop rapide.

Premier réflexe, valable pour tout passage de la Bible, c’est de nous référer au contexte. Sinon nous risquerions fort de faire dire au texte autre chose que ce qu’il veut signifier.

Jésus, remué au plus profond de lui-même par la faim de la foule qui le suit se met à l’instruire longuement. Il lui offre le pain de sa parole, qui n’annonce rien d’autre que l’infinie proximité de Dieu. Jésus ne rejette pas la foule affamée. Il est là, solidaire de ses attentes. Et la foule mange et boit ses paroles, si bien que le soir arrive et qu’elle est toujours là. Jésus se préoccupe alors de leur donner à manger, encore, mais là il s’agit de pain et de poisson. Quelques pains, quelques petits poissons, toute la richesse de cette foule prête pourtant à les partager largement. Jésus prend le pain, le bénit et tous ont largement à manger, tant et plus qu’il en reste des corbeilles entières.

La foule est subjuguée. Elle a trouvé son roi, ou plutôt son gourou. Avec Jésus plus de souci à se faire. Il vient répondre à tous nos besoins !

Mais Jésus ne succombe pas à ce piège. Il est venu répondre à une autre faim, bien plus profonde, même si elle n’est pas toujours consciente, de la foule. Il veut donner aux hommes le pain de la vie éternelle. Tout son discours veut les aider à comprendre autrement le signe du pain qu’il vient de réaliser, à ne pas en rester au sens premier, littéral, mais à en percer la réalité profonde.

Comme tout sacrement, le signe du pain, est un geste concret, matériel, qui renvoie à une réalité spirituelle. Celle-ci n’est pas moins vraie et concrète, mais elle se laisse deviner à travers une réalité toute simple, très humble : du pain partagé.

De même que Jésus veut conduire la foule à approfondir son désir, à découvrir en elle une faim bien plus profonde que le simple fait de manger gratis, il cherche à lui faire découvrir qu’il est bien plus qu’un magicien capable de multiplier les pains ou de guérir les malades : il est le chemin qui mène à la source de toute vie. Il est lui-même la fontaine d’eau vive, il se fait lui-même pain de vie, nourriture qui ne passe pas.

Par le signe d’un simple morceau de pain, Jésus se donne tout entier et il nous invite à entrer dans sa logique d’amour, à faire corps avec lui, à demeurer avec lui comme lui demeure en son Père.

Ne nous laissons pas piéger par le vocabulaire employé, qui nous heurte comme il a heurté la foule. Notre culture n’est pas la culture du bassin méditerranéen au temps de Jésus et les mots n’ont plus le même sens. C’est le deuxième réflexe que nous devons toujours avoir en ouvrant notre Bible : comprendre le texte pour lui-même, sans vouloir lui faire dire trop vite ce que nous croyons qu’il dit, ou même ce que nous voudrions en entendre.

Quand l’évangéliste Jean emploie le mot « chair », il parle de la personne tout entière, et pas seulement de notre corps organique. Le « sang » symbolise la vie elle-même. Vous remarquerez que, dans ce discours, Jésus ne parle pas de manger son corps organique. En nous parlant de manger sa chair et de boire son sang, Jésus nous invite à faire nôtre, à devenir, tout ce qu’il est. Le Christ devient ce que nous sommes et nous devenons ce qu’il est. Les mots manger et boire signifient cette identification, cette incorporation au Christ.

Finalement, le signe du pain est un peu comme une lettre amoureuse que le fiancé envoie à sa fiancée. La lettre elle-même n’est qu’un morceau de papier sans valeur. Mais elle signifie une réalité bien plus profonde, bien plus vraie : elle est signe réel d’un amour qui ne demande qu’à être partagé. Et le destinataire de cette lettre va la dévorer, en faire sa nourriture. Elle est signe de son ardent désir de ne faire qu’un avec l’être aimé. Elle va entretenir en lui le désir, la soif de la rencontre avec l’être aimé, et de ne plus jamais le quitter.

Et si chaque Eucharistie était une déclaration amoureuse ? Dieu, à sa manière, veut nous signifier son amour et nous inviter à entrer dans sa ronde. Mais il choisit un signe bien plus fort qu’une lettre. Il se donne lui-même par amour, en Jésus. Notre vie a un tel prix, une telle importance à ses yeux, qu’il n’hésite pas à donner un signe indépassable de son amour, le signe de sa vie donnée librement. La réponse nous appartient. Personne ne peut obliger quelqu’un à se laisser aimer, encore moins à aimer. En allant communier, nous posons un signe fort, une démarche qui nous engage. Nous disons à la fois notre faim d’être aimés, notre soif de la vraie vie, et nous posons un geste qui dit notre désir d’entrer dans la logique d’amour de Jésus. « Comme je vous ai aimé, aimez-vous les uns les autres. »

Demandons la grâce de sortir de la routine des formules toutes faites. « C’est toujours la même chose », disent les jeunes pour expliquer leur ennui durant la messe.

Comme dans la relation amoureuse, il y a la passion du début puis l’amour qui s’approfondit dans une quête patiente et attentive. L’Eucharistie n’a jamais fini de nous livrer ses trésors, parce qu’il s’agit d’une rencontre entre Dieu qui se donne et chacun de nous. Une rencontre qui nous révèle à nous-mêmes.

Oseras-tu, aujourd’hui, cette rencontre ?

Frère Nicolas Morin

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