DONNEZ-LEUR VOUS-MÊMES A MANGER
La multiplication des pains dans l’évangile prolonge et accompli le don de la manne au désert. Dieu vient de libérer son peuple de sa terre d’esclavage en Égypte. Puis il ouvre un chemin à travers la mer, symbole du mal, du péché, de la mort. Commence alors un long apprentissage de la confiance en ce Dieu fidèle à sa promesse. Tenaillé par la faim et la soif, le peuple récrimine, regrettant l’illusoire sécurité du temps de son esclavage. Dieu entend son cri et fait pleuvoir chaque matin la manne, nourriture tombée du ciel donnée à chacun selon ses besoins. Jésus lui-même ne serait-il pas la manne offerte pour vie éternelle ?
À la foule rassemblée, Jésus annonce longuement le Royaume de Dieu. Qu’est-ce que le Royaume sinon la présence de Dieu lui-même qui prend corps en son Fils Jésus, se faisant proche des petits et des pauvres ? En Jésus la Parole s’accomplit, efficace, qui guérit, relève, pardonne. La foule ne s’y trompe pas, suspendue à ses lèvres au point de ne pas voir le temps passer.
Mais les disciples prennent peur : « Comment nourrir une telle foule ? Que chacun se débrouille ! Renvoie-les ! » Les disciples veulent se retrouver entre eux, dans le cocon de leur petit groupe, loin de la faim des hommes.
Jésus les provoque à sortir d’eux-mêmes, à aller vers les autres les mains vides afin d’apprendre à recevoir ce qu’ils recèlent de trésor caché : « Donnez-leur vous-mêmes à manger. » ‒ « Nous n’avons pas plus de cinq pains et deux poissons. » Que faire avec si peu pour une telle foule ? Mais ce n’est pas rien ! Chacun a quelque chose à donner, quelque chose à partager. Jésus lui-même nous ouvre le chemin ; sa vie donnée sur la croix ne paraît-elle pas insignifiante à beaucoup ?
De cette foule hétéroclite, Jésus fait un corps unifié, organisé : « Faites-les asseoir par groupe de cinquante. » Le pain partagé est source de communion dans la mesure où chacun partage ce qu’il est, ce qu’il a.
Le pain est fruit de la terre, de l’absolue gratuité de Dieu, et du travail des hommes, réponse et participation au don premier de Dieu. Ainsi s’opère à chaque eucharistie, comme la goutte d’eau mêlée au vin, cet admirable échange entre le don infini de Dieu et nos « cinq pains et deux poissons », ce petit rien de nos vies données sans qui rien ne serait possible.
C’est cette vie-là que Jésus prend à pleines mains pour en rendre grâce à Celui qui est à l’origine de tout don. Jésus accueille notre don pour le transfigurer dans le propre don de sa vie. L’Eucharistie est une dynamique qui requiert l’investissement de chaque fidèle avec le Christ. Elle nous fait entrer dans la dynamique de l’amour, nous fait « demeurer » en Dieu. Nous ne venons pas assister à un miracle qui nous serait extérieur. Chaque eucharistie nous sort de nous-même, en mémoire de lui, afin de partager ce que nous avons de meilleur et nous mettre au service les uns des autres, nous configurant au Christ serviteur.
Alors nous constatons, émerveillés, que notre vie porte du fruit en abondance, que notre petit rien offert en communion avec le Christ est capable de nourrir une multitude.
Seigneur Jésus, en réponse à notre prière « donne-nous notre pain quotidien », tu nous pries à ton tour : « Combien de pain avez-vous ? » Tu veux avoir besoin de notre don en réponse au tien afin de nous faire goûter la joie d’aimer, la joie de nous donner sans compter.
Seigneur Jésus, fais de notre vie une Eucharistie.