L’aveugle de naissance
Jésus, l’éternel accusé, on ne te pardonnera pas d’avoir osé déranger notre nuit. Tu dis être « la lumière du monde » Quelle prétention ! Dès lors, le vrai grief du procès qu’on te fait est d’avoir osé t’affirmer lumière. Mais le coup de théâtre va se produire : d’accusé que tu étais, tu deviens juge. Et Jésus dira : « Je suis venu en ce monde pour un jugement : pour que ceux qui ne voient pas puissent voir et que ceux qui voient deviennent aveugles. » Jésus ne fait que répéter ce que Yahvé a déjà dit à Adam dans la Genèse : Adam qu’as-tu fait ? Ton œil est plein de convoitise, il ne reflète plus que ta frénésie à domestiquer les choses. Ton œil est malade, tu ne perçois plus que l’extérieur, l’âme des choses t’échappe. Tout est devenu froid, sans profondeur. Quand l’âme des choses s’est exilée, l’œil est profondément blessé. Adam qu’as-tu fais de ton œil ? Jésus redit la même chose aux Pharisiens : « Vous croyez voir ! Mais vous êtes des aveugles. »
Mais regardons l’aveugle de naissance. Il a dû se demander ce qui lui arrivait mais sans trop comprendre, il se laisse faire. Jésus « cracha sur le sol et, avec de la salive, il fit de la boue qu’il appliqua sur les yeux de l’aveugle et lui dit : Va te laver à la piscine de Siloé. » Dans l’antiquité, la salive avait des vertus curatives, elle était douée d’un pouvoir magique. Tandis que la boue est le symbole de la matière primordiale d’où l’homme est tiré : Yahvé, le Potier « modela l’homme avec la glaise du sol. »(Genèse II 7)
La boue est donc le rappel de la glaise originelle d’où nous sommes tirés. Le symbolisme est beau, mais le signe est pauvre, voire ridicule ! Jésus aurait pu faire un geste plus grandiose et proférer une parole plus solennelle. Mais la puissance de Dieu éclate toujours dans des signes pauvres : Une naissance sur la paille, une mort sur le bois ! D’ailleurs, la pauvreté des signes est éloquente. Avant de recevoir un crachat au visage, Jésus prend de la salive pour enlever la cécité.
L’aveugle, lui obéit sans tergiverser, il va se laver à la piscine. « Et quand il revint il voyait. » Mais l’histoire n’est pas finie. Il devra comparaître devant l’hémicycle de ceux qui croient voir. Lui, raconte son histoire avec la meilleure verve populaire. Et il n’en rate pas une : « Zut j’y voyais pas, mais maintenant j’y vois, ça vous dérange ? » Ainsi il met son doigt sur la plaie des pharisiens qui l’interroge, non pour voir clair, mais pour nourrir le pus de leur pensée mauvaise. Et avec ironie, qui plus est, l’aveugle guéri demande aux Pharisiens, si par hasard, ils n’auraient pas envie de devenir disciples ! (verset 27)
Que nous apprend l’histoire de l’aveugle ? Il nous apprend comment on trouve le Christ. En nous laissant travailler, même s’il doit nous façonner avec la boue épaisse de notre humanité. Reconnaissons-le, nous sommes parfois mal dégrossis ! Nous avons ensuite à apprendre à marcher dans la nuit de la foi. Paradoxalement c’est souvent là que nous trouvons la lumière ! Et enfin oser aller jusqu’à la piscine de Siloé, qui nous rappelle notre baptême. Se replonger dans son baptême !
Mais l’aveugle nous apprend encore une chose importante sur le choix de Dieu. Ici le choix c’est celui d’un pauvre mendiant. Et dans la première lecture le Seigneur envoie Samuel chercher le futur roi d’Israël. Et Samuel pense d’abord à Eliab qui était grand et avait belle apparence, il fera bien l’affaire ! Mais il est intéressant de voir ce qu’il y a derrière le choix de Dieu. Il dira a Samuel : « Ne considère pas son apparence ni sa haute taille, car je l’ai écarté….Les hommes regardent l’apparence, mais le Seigneur regarde le cœur ». Je crois que c’est un beau sujet d’examen de conscience !
Et le Seigneur écartera les sept fils et dit à Samuel : « N’as-tu pas d’autres garçons ? » Samuel, sans trop y croire dira : « Il reste encore le gamin, le petit roux, qui garde le troupeau ! » On lui trouve, quand même des beaux yeux ! Mais c’est lui que le Seigneur choisira. Tout au long de l’histoire biblique nous assistons aux choix d’hommes et de femmes tenus pour rien dans la société. Saint François doit certainement adorer ce texte, lui qui se disait « pauvre et ignorant ».
« Ce qui est faible dans le monde, voilà ce que Dieu a choisi pour confondre ce qui est fort » I Cor. I 27)
Frère Max de Wasseige