Homélie (1) du dimanche 19 novembre 2023, 33ème dimanche du Temps Ordinaire – Année A

QU’AS-TU FAIT DE TES TALENTS ?

« Entre dans la joie de ton maître ! » Jésus est chargé de donner corps au rêve de Dieu : nous faire entrer dans la joie du Père. Ce qui fera dire à Bernanos : « La joie est notre vocation. »

Et quelle est la joie de Dieu sinon la joie d’aimer, c’est-à-dire de faire exister ses créatures, de les faire grandir afin qu’elles partagent sa propre vie ? « Je ne vous appelle plus serviteurs, parce que le serviteur ne sait pas ce que fait son maître ; mais je vous ai appelés amis, parce que je vous ai fait connaître tout ce que j’ai appris de mon Père » (Jn 15,15).

Cela éclaire la parabole des talents que l’on trouve au chapitre 25 de Saint Matthieu tout entier tourné vers la venue de Jésus, sa Parousie, et sur le Jugement dernier. Le maître, avant de partir pour un long voyage, remet un trésor à ses serviteurs, infiniment plus qu’aucun d’entre eux n’aura jamais. Un talent correspond à 40 kg de pièces en argent. Nous sommes frappés par tant de largesse du maître, mais surtout par sa confiance. Il remet sa fortune, ce qui lui est le plus cher, à ses serviteurs, confiant qu’ils sauront non seulement en prendre soin mais aussi la faire fructifier.

Que représentent ces talents ? Jésus, au matin de sa Résurrection, souffle sur ses disciples en disant : « Recevez l’Esprit-Saint » (Jn 20,23) ; et le jour de son Ascension, il leur dit : « Vous allez recevoir une puissance, celle du Saint Esprit qui viendra sur vous ; vous serez alors mes témoins jusqu’aux extrémités de la terre » (Ac 1,8). Ces talents ne seraient-ils pas l’Esprit Saint ? L’Esprit ne se divise pas. On ne reçoit pas plus ou moins d’Esprit Saint. Chacun reçoit la même grâce baptismale. Mais l’Esprit Saint vient susciter, déployer en chacun de nous des charismes propres en fonction de ce que nous sommes. Parce que notre histoire n’est pas écrite d’avance. Parce que Dieu suscite des libertés. Alors que nous pourrions crier à l’injustice en voyant que Dieu donne à chacun des talents selon ses capacités, lui le fait justement parce qu’il respecte notre charisme propre.

Quel est donc ce don unique que le Seigneur me confie et m’invite à faire fructifier en attendant son retour ? Je prends le temps de goûter la confiance qu’il me fait et d’en rendre grâce. Qui suis-je, Seigneur, pour que tu te donnes à moi tout entier ? Qui suis-je pour que tu remettes ta vie entre mes mains ?

Les deux premiers serviteurs reçoivent leurs talents avec joie et mettent toute leur énergie à les faire fructifier. Au retour du maître, ils lui remettent les talents et leurs intérêts. Ils ne gardent rien pour eux. A l’image du maître, ils entrent dans la joie du don. Ils se donnent à leur tour tout entiers.

Nous ressentons douloureusement l’attitude du troisième serviteur. Il projette sur son maître ses propres peurs, l’image d’un père dur, intraitable, qui ne lâche rien. Une partie de lui-même est solidement verrouillée. Il est incapable de s’éveiller à la gratuité de l’amour, et encore moins de s’y abandonner. Il est dans le « donnant-donnant » : « le voici, tu as ton bien. » Cet homme me fait penser au fils aîné de la parabole du Père prodigue en Luc 15. Homme de devoir, il n’a jamais fait l’expérience de la miséricorde du Père, de ses bras grands ouverts, de son amour offert sans condition.

Ne sommes-nous pas les uns et les autres tiraillés entre notre désir de nous livrer tout entiers au don de Dieu et la peur de nous perdre, la peur de donner notre confiance ?

« Retirez-lui son talent, dit le maître, et donnez-le à celui qui a dix talents. » En fait, le serviteur n’a jamais accueilli le don qui lui était fait. Il est allé l’enfouir dans la terre. Le maître prend acte de ce refus. Il ne veut pas forcer nos libertés, s’imposer à nous.

« Réveille en toi le don de Dieu, la grâce de ton baptême », écrit saint Paul.

Fais-moi goûter, Seigneur, à ta joie.

Donne-moi de t’accueillir sans peur

et de me laisser transformer par ton esprit d’amour

pour que ma vie porte du fruit en abondance.

Viens libérer cette part de moi-même encore figée dans la peur,

le ressentiment, la rancune.

Donne-moi la joie de me laisser aimer pour aimer.

Frère Nicolas Morin

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