Les ouvriers de la onzième heure
(Dans une société de performance, de compétitive, de rapidité)
La parabole de la onzième heure est une aberration … oui, une aberration pour tout chef d’entreprise qui se respecte. Pour qu’une entreprise fonctionne, mieux vaut éviter que certains salariés pointent à 17 heures, assurés de toucher le même salaire que ceux qui ont travaillé 8 heures par jour. Il faut donc croire que le Royaume n’est pas une entreprise, et qu’il s’affranchit de toute logique économique.
A un premier niveau de lecture, le sens de la parabole est explicite : il plait à Dieu d’accueillir largement et d’offrir sa grâce, indépendamment du temps passé à son service. Que vous soyez de la onzième heure ou de la première heure, cela est indifférent pour rentrer dans le Royaume. Ce qui paraît évident, lorsqu’on songe que le Royaume se situe en marge du temps.
Nous passerions à côté de la grâce de Dieu si nous ne comprenions pas que nos âges ne signifient rien pour lui. Il faut dire que nous avons besoin de mesure pour évaluer nos vies, et nous repérer au quotidien, tandis que Dieu n’a précisément aucune mesure. Et donc, dans le Royaume il n’y a pas de rapport entre le service et la rétribution. C’est donc une bonne nouvelle de savoir que Dieu ne regarde pas notre âge, mais l’amour que nous mettons à son service. Il ne va pas donc regarder, scruter ce que nous faisons à 9 ans ou 90 ans, mais quel que soit notre âge, il se réjouira de nous voir vivant et aimant.
Et je voudrais m’inspirer d’une prière orthodoxe sur les ouvriers de la onzième heure.
Que celui qui est un serviteur fidèle entre avec allégresse dans la joie de son maître.
Que celui qui a travaillé dès la première heure reçoive aujourd’hui son juste salaire.
Que celui qui est venu à la troisième heure se réjouisse en rendant grâce.
Que celui qui est arrivé à la sixième heure n’éprouve aucun doute car il ne perdra rien.
Que celui qui a tardé jusqu’à la neuvième heure s’approche sans hésitation et sans crainte.
Que celui qui n’est apparu qu’à la onzième heure n’ait aucune peur du fait de son retard.
Car le Seigneur est généreux il reçoit le dernier comme le premier. Il admet au repos l’ouvrier de la onzième heure comme celui qui a travaillé dès la première heure. Il fait grâce au dernier et il chérit le premier…. Entrez donc tous dans la joie de votre maître !
Si nous bénéficions tous de la même reconnaissance devant un travail manifestement inégal, c’est peut-être que nous sommes simplement incapables d’évaluer le coût et la valeur de notre propre travail et celui des autres. Qui sait ce qu’ont vécu les ouvriers de la onzième heure ? Ils disent simplement que personne ne les avaient embauchés. Ils attendaient leur heure, selon l’expression. Et qui mieux que Dieu peut savoir ce que l’attente a de fécond ?
« Sans doute l’avez-vous remarqué, écrit Christian Bobin, notre attente est toujours comblée par surprise. Comme si ce que nous espérions était toujours inespéré. Comme si la vraie formule d’attendre était celle-ci : Ne rien prévoir-sinon l’imprévisible. Ne rien attendre –sinon l’inattendu ».cet extrait est tiré de l’Eloge du rien. N’est-ce pas précisément cet éloge du rien que fait Dieu en offrant à tous l’opportunité de son Royaume ?
« TU ES LE DIEU DE L’INUTILE
de rien tu fais quelque chose
Et tu recycles nos temps perdus
En le faisant entrer dans ton éternité »
(Marion Muller-Colard)
Frère Max de Wasseige
Et à propos du psaume 144 :
LA BONTÉ DU SEIGNEUR EST POUR TOUS
SA TENDRESSE POUR TOUTES SES ŒUVRES
Je vous propose de méditer sur cette phrase du psaume 144, en vous arrêtant sur le “tous”.
“Dieu ne fait pas de différence entre les hommes”, nous dit encore la Bible.
Prenez conscience de ce que signifie ce “tous”. Pensez à telle ou telle personne concrète que vous avez tant de mal à accueillir, à accepter… La bonté du Seigneur est pour elle aussi ?
N’est-ce pas le message que le pape François est venu délivrer à Marseille ? Les migrants, eux-aussi, sont infiniment précieux car ils sont nés de la bonté du Père.
Mais le psaume va plus loin encore : “Sa tendresse est pour toutes ses œuvres.” La création tout entière est reflet de la bonté et de la beauté de Dieu.
Je n’en dis pas plus. Demandons simplement la grâce d’entrer dans le regard du Père pour toute sa création, la grâce de goûter sa bonté et sa tendresse offertes à tous, sans exception.
Frère Nicolas Morin