RELIER OU SÉPARER ? (Marc 7, 1-16)
Souvenons-nous que Marc s’adresse à des chrétiens venus non pas du judaïsme mais du monde païen. Dès lors, va se poser au sein de la communauté nouvelle la question de l’observance des rites anciens : les nouveaux convertis doivent-ils être circoncis et observer toutes les pratiques alimentaires de leurs frères juifs ? Peuvent-ils s’asseoir à la même table ? Cela pose plus profondément la question du sens des rites dans la religion.
On le sait, « religion » vient de relegere (cueillir, rassembler) ou bien de religare (lier, relier). Or, les prescriptions rituelles juives, qui se sont fortement développées à partir de l’Exil et qui vont bien au-delà de ce que prescrit la Torah, aboutissent à distinguer, à séparer, ceux qui les suivent et les autres. Il y a les purs et les impurs. Les premiers doivent se préserver des seconds. C’est une manière, pour une religion minoritaire, d’éviter d’être absorbée par la religion dominante en survalorisant des repères extérieurs clivants.
C’est une question très actuelle. J’ai été très blessé qu’un ami musulman refuse de venir partager notre repas de peur que je lui serve des aliments non hallal. Les fondamentalistes religieux reprennent toujours la même rhétorique du pur et de l’impur. On enferme les croyants dans un carcan de conduites extérieures à tenir, faute de quoi on est stigmatisé, voire exclu du groupe, et cela peut conduire à la lapidation.
De ce point de vue, la conduite de Jésus et de ses disciples fait scandale. Il incarne la religion qui relie. Loin de se protéger, il se laisse approcher, toucher par des hommes et des femmes considérés comme impurs. Ce qui les sauve, ce ne sont pas leurs pratiques, mais leur foi en Jésus sauveur. Il mange avec des païens et des publicains. Sa présence même « purifie » tous ceux qui s’approchent de lui avec le désir d’une vie transformée.
Évidemment, cela dérange scribes et pharisiens, ces hommes dont le pouvoir repose sur le fait qu’ils sont les interprètes autorisés du pur et de l’impur. Jésus invite ses interlocuteurs à se replonger dans la Bible, la Torah, pour y discerner le cœur de son enseignement. « Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. » Il s’agit de passer d’une attitude tout extérieure à l’intériorité. « Écoutez-moi tous, et comprenez bien. Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. Mais ce qui sort de l’homme, voilà ce qui rend l’homme impur. »
Saint Jacques, dans sa lettre, nous invite à fonder notre vie sur l’essentiel. Il tourne d’abord notre regard vers Dieu, le Père des lumières, le Créateur de toute chose : « Tout don excellent, toute donation parfaite vient d’en haut et descend du Père des lumière. » Dieu ne fait pas de différence entre les hommes. Tous, sans exception, nous sommes le reflet de sa bonté et de sa beauté.
« Il a voulu nous engendrer par sa parole de vérité. » Cette parole de vérité, c’est l’Évangile qui nous fait naître à une vie nouvelle, réconciliée. La mission de la communauté chrétienne est de témoigner d’un vivre ensemble possible, avec toutes nos différences, de renverser les barrières, casser les murs et les préjugés, parce que nous n’avons qu’un seul Père qui fait lever son soleil sur les justes et les injustes.
« Accueillez dans la douceur la Parole semée en vous ; c’est elle qui peut vous sauver la vie. » Nous laisser rejoindre par le Christ, par sa parole de vie, la laisser habiter en nous et nous transformer de l’intérieur…
Et saint Jacques continue : « Soyez les réalisateurs de la parole (mettez-la en pratique), ne vous contentez pas de l’écouter, ce serait vous faire illusion. » Comment la mettre en pratique ? En étant à notre tour cette main tendue du Père vers les petits et les pauvres, « en visitant les orphelins et les veuves dans leur détresse, nous gardant sans tache au milieu du monde », conclut saint Jacques.
Frère Nicolas Morin