Fête-Dieu
C’est au cours du repas pascal que Jésus, comme tant de fois, prit le pain et la coupe. Mais tout en s’inscrivant dans une vieille tradition, il va changer complètement la signification. Ainsi les brèves paroles, entendues tant de fois, risquent de perdre leur profondeur et leur mystère. Car les mots sont toujours de fragiles passerelles qui peuvent devenir des murs. Même dans le mot amour, il y a les lettres de mur !
Jésus prit le pain :Geste souvent accompli dans l’intimité d’un repas familial, et même devant les foules. Geste du père de famille qui prend le pain pour le distribuer à ses enfants. Mais au cours du repas pascal, le geste est accompli dans une atmosphère lourde, grave, pesante. Jésus sait qu’il ne pourra plus prendre le pain dans ses mains. Il ne pourra plus que prendre la croix, avant que ses mains ne soient transpercées.
Il prononça la bénédiction :Il y a les paroles de haine, de malédiction. Mais il y aussi les paroles du « bien-dire » (bene-dicere).  Paroles qui viennent du cœur profond, l’endroit où il n’y a que du bien, de l’amour. L’endroit du cœur intact, qui est dans chaque être humain, mais qui est souvent enfoui dans un fatras d’égoïsme, d’orgueil et de superficialité. Le cœur de Jésus n’était que bénédiction, car il était sans cesse relié au Père dans cette relation d’amour et de non possession entre le Père et le Fils. Cette bénédiction, avant de quitter les siens, avait toute la densité d’un Testament, d’un mot d’adieu. « Je te bénis Père de m’avoir gardé par ta force bienveillante mais maintenant bénis ce pain qui deviendra mon corps donné pour le salut du monde ».
Il rompit le pain :Jésus savait ce que voulait dire « rompre le pain »lui qui était né à Bethléem, la maison du pain. Et bien vite il a dû lutter contre la magie du Tentateur qui voulait qu’il change les pierres en pain. Mais en rompant le pain, Jésus ne savait-il pas, que dans quelques heures, c’est son corps qui sera rompu sur la croix ! Et après sa résurrection, les disciples le reconnaîtront à sa manière si particulière de rompre le pain. Il y avait tellement de dignité, de densité, d’éternité dans ce geste que les disciples en étaient marqués au fer rouge.
Et le leur donna :Le geste de rompre est suivi de la distribution. Jésus ne garde pas le pain pour lui. Il le donne, il le distribue. Le disciple devra rentrer dans cette logique. N’est-il pas dit dans la multiplication des pains : « donnez-leur vous-mêmes à manger ».Mais, avant d’être un généreux donateur le disciple doit d’abord être un mendiant. Car on ne peut donner que ce que l’on a reçu.
Jésus dit : « Ceci est mon corps, qui est pour vous » (I Cor XI 24). Ici nous rentrons dans des paroles mystérieuses que nous ne comprendrons jamais totalement. A certains moments de notre vie nous pouvons même dire comme les Juifs : « Comment celui- là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jean VI 52).Mais nous avons à  dépasser nos doutes. Ils sont positifs car ils nous permettent d’entrer dans une foi plus adulte. Dépasser le doute c’est entrer dans la logique du don : « Il leur donna ». Il y a le don de la nourriture, mais avant tout, le don se situe d’abord au niveau de la foi. Il leur donna de croire que son corps, sa vie étaient vraiment nourriture.
« Faites cela en mémoire de moi » Que sa mémoire rentre dans mon cœur, dans mon souffle, afin qu’elle devienne Pain Vivant, pain de tendresse, vin de la joie. Que sa mémoire m’aide à me défaire de ce que je crois posséder pour m’en remettre au vent de son Esprit. Que sa mémoire reste en moi comme la saveur d’une merveilleuse rencontre, la douceur d’un amour !
« Mendiant de Toi, je te prends dans mes mains,
Comme on prend dans ses mains la perle d’un amour »