La Cananéenne II
Il est bon qu’un texte résiste. Il est bon de se battre avec un texte, de se dire qu’on n’est pas d’accord. Il force ainsi à la recherche, à l’approfondissement. Robert Scholtus dira qu’il faut « pratiquer une lecture qui laisse au texte sa chance et donc sa capacité de résister et d’étonner, de dévoiler et donc d’interpeler. Un texte, qui en définitive, demande moins à être expliqué qu’à être déplié, en sachant bien qu’un pli ne fait qu’en cacher un autre…Mais l’indiscipline de plis vaut mieux que la platitude des lectures moralisantes ».
Je voudrais appliquer ce texte à l’Evangile d’aujourd’hui qui pose question. Voilà donc une pauvre femme, une Cananéenne, une païenne avec qui Israël refusait de faire alliance. Elle crie sa détresse. Cette détresse est d’autant plus grande que dans les mœurs de l’époque, elle pensait que sa fille était tourmentée par un démon.
Or Jésus ne répond pas, il laisse la femme dans sa souffrance. Et son cri devient insupportable pour les disciples. Ils veulent protéger le Maître. « Renvoie-là , car elle nous poursuit des ses cris » Pour les disciples on pourra dire : « Ils ne sont pas encore évangélisés ! »Mais le rejet de Jésus pose problème : « Je n’ai été envoyé qu’aux brebis perdues de la maison d’Israël ».Je croyais qu’il était venu sauver tous les hommes !
La femme ne perd cependant pas courage. « Elle se prosterne en disant vient à mon secours ! » La réponse de Jésus est encore plus surprenante que son silence : « Il n’est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens ».En Orient le chien n’est pas un animal domestique, il vit à l’état sauvage et se nourrit de déchets. Il est le symbole de l’animal méprisable et on peut même lui jeter de la viande impure. Les Juifs donnaient parfois le sobriquet de chien à un païen, à quelqu’un qui ne connaissait pas la Loi. Même adoucie en « petits chiens »l’expression a quelque chose de choquant pour un Oriental.
Certains prétendent que Jésus veut mettre cette femme à l’épreuve et que la violence de ses propos est un moyen pédagogique pour l’amener à manifester sa foi : « provoquer la femme à être plus explicite ». Mais n’est-ce pas un jeu cruel face à un cœur éploré ? Mais où sont les Paraboles de la miséricorde ?Jésus « doux et humble de cœur »n’est-il pas attentif à la souffrance humaine ?
Il est vrai que Jésus a d’abord été envoyé au peuple d’Israël. Et qu’il envoie d’abord ses disciples vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Mais peut-être, y aurait-il une autre explication qui n’engage que moi. Jésus. Jésus ne connaissait pas à l’avance sa mission. C’est petit à petit qu’il la découvre, surtout en se retrempant régulièrement auprès de son Père, ainsi que dans la rencontre des hommes et des femmes de son temps. Sa route humaine est bien plus belle, quant on le voit chercher, découvrir, s’émerveiller.
Je raconte souvent l’histoire du gosse au catéchisme à qui l’on demande : « Qu’est-ce que Jésus pensait sur la croix ? »Et le gosse de répondre : « Je m’en fous, dans trois jours je ressuscite ! » C’est ainsi qu’on évacue tout le côté humain de Jésus. Or il a vécu pleinement toute notre condition humaine avec ses joies, ses souffrances et même ses doutes.
La rencontre avec la Cananéenne est d’autant plus belle ! Cette femme s’accroche, répond, rien ne l’arrête. Il est vrai qu’elle n’a rien à perdre. Dans sa passion pour sauver sa fille, elle trouvera la riposte que seules les femmes peuvent trouver : « Justement les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres ».Et voilà que Jésus fond devant la grandeur et la beauté de la foi de cette femme. « Femme que ta foi est grande ! » Quel retournement ! Quelle humanité ! Le Maître se met à l’écoute, à l’école de celle qui est loin, mais il n’a vu que son cœur.
Jésus donne-moi la foi de cette païenne !
Frère Max de Wasseige