« Es-tu Roi ? »
La fête du Christ Roi, instituée par Pie XI en 1925, suscita beaucoup de discussions et d’objections, qui d’ailleurs reprennent vigueur avec le retour des héritiers de la Contre-réforme appelés « intégristes ». Pie XI entendait édifier une « nouvelle chrétienté » face au laïcisme. On disait à l’époque : «Il appartiendra aux catholiques de faire rentrer triomphalement le Christ Roi dans les gouvernements et dans les relations sociales. » Dans cette idéologie le Christ Roi était une sorte de porte-étendard face à la sécularisation et à la montée du nazisme. Bien sûr qu’il y a un relent de triomphalisme et un rêve d’un ordre chrétien, un désir de restauration de la Cité de Dieu derrière la bannière du Christ Roi.
Le Concile Vatican II a essayé de nous libérer de cet emprisonnement mental mais il est difficile d’abandonner des façons de penser profondément enracinées. Cette tentation nous la retrouvons dans les autres religions : Prendre le pouvoir temporel au Nom de Dieu ! Dès le IVe siècle, le christianisme a été tenté de sacraliser l’institution. Or il n’y a que l’amour de Dieu et l’amour du Frère que l’on peut sacraliser. Les institutions seront toujours contingentes, soumises aux aléas de l’histoire.
Le Christ ne dit-il pas : « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » Regardons comment Jésus se comporte face à la royauté et au pouvoir. Comment se dit-il roi ? Il faut remarquer que c’est au cours d’un procès qu’il va se dire roi, c’est à dire au moment où l’homme est amoindri, enchaîné, bafoué. Ce n’est donc pas du haut d’un trône ni au moment où le peuple le proclame roi mais devant Pilate qui avait le pouvoir de mettre à mort. Jésus ne craint pas d’établir son pouvoir par l’absurde : « Si ma royauté venait de ce monde, j’aurais des gardes qui se seraient battus pour que je ne sois pas livré aux Juifs. »
Sa royauté n’a que faire des moyens de ce monde : capitaux, partisans, armée. Sa royauté ne se sert pas de la puissance pour imposer sa domination. « C’est une puissance infinie d’effacement de soi » comme le dit Varillon. Pilate ne doit pas avoir peur, Jésus n’est pas un concurrent sur la scène politique. Bien sûr que Pilate y perd son latin ! A la question : « Alors tu es roi ? » Jésus ne réponds pas, mais toute sa personne respirait, transpirait la royauté.
C’était même plus que de la royauté, il y avait quelque chose de divin qui émanait de lui : Or l’homme avait les mains liées derrière le dos. On voyait sur son visage les marques d’une nuit d’agonie, les traces des coups et des crachats. Il était couronné mais avec des épines. Qu’elle dérision ! Mais qu’elle force émanait de cette dérision ! C’était un homme complètement vidé de lui-même, mais envahit par le Père. Le royaume est donné à un Pauvre absolu.
Contemplons ces deux pouvoirs, ces deux hommes face à face : Pilate peureux qui cherche avant tout à garder sa place. Et Jésus humilié et dépouillé qui seul peut dire dans sa faiblesse cette parole qui a une force inouïe : « Tout homme qui appartient à la vérité écoute ma voix. »
Il n’y a pas de plus grande leçon à tous les nostalgiques du pouvoir, à tous ceux qui disent : « Que mon règne vienne ! »
C’est qu’il y a un retour nostalgique au désir d’une Eglise forte, puissante, une Cité de Dieu sur la terre. C’est avec des petits moyens que François et ses frères sont partis évangéliser le monde. Ils avaient une grande foi et un grand cœur. Ils étaient petits et vulnérables comme leur Maître car ils savaient que sa royauté était une royauté d’amour, de force dans la faiblesse et de service humble.
« Sa puissance à lui c’est d’être sans puissance, nu, faible, pauvre, mis à nu par son amour, affaibli par son amour, appauvri par son amour. Telle est la figure du plus grand roi de l’humanité… » (Christian Bobin L’homme qui marche)
Frère Max de Wasseige