Le bon grain et l’ivraie Matthieu 13, 24-43
Je m’interroge souvent quand je vois la pression qui s’exerce de plus en plus tôt sur les enfants, afin de garantir leur réussite scolaire. C’est à peine s’ils ont le droit d’être simplement ce qu’ils sont : des enfants qui se construisent par le jeu, l’amour de leur famille et de leurs proches.
Dès le plus jeune âge, on stigmatise les enfants : il y aurait parmi eux des graines de champion et des graines de délinquant qu’il s’agit de traiter comme tel. L’avenir d’un enfant, serait, parait-il, scellé dès son plus jeune âge.
Il s’agit alors de préserver nos enfants des mauvaises fréquentations, de les inscrire dans des écoles où ils seront préservés des mauvaises graines…
Jésus nous enseigne l’attitude inverse, à travers une série de paraboles. Dimanche dernier, nous entendions la parabole du semeur. Le semeur sème à profusion, dans la bonne terre, mais aussi sur le chemin, dans les fossés. Il veut laisser à chaque terrain la chance d’accueillir la semence pour la faire fructifier. Ce grain, c’est bien sûr la vie de Dieu semée en nos cœurs.
Les trois paraboles qui nous sont données aujourd’hui sont porteuses d’une espérance et d’une indéfectible confiance en l’homme, en tout homme.
Ce qui est premier, c’est le bon grain semé en chacune de nos vies. Le bon grain. Dieu, qui est le Bien plénier, total, ne nous veut que du bien, ne se lasse pas de méditer saint François.
Alors, la première chose que nous ayons à faire, c’est de chausser les lunettes de Dieu pour ajuster notre regard. Apprendre à regarder comme Dieu nous regarde. Nous sommes en général plus prompts à déceler nos défauts que nos qualités. Apprenons d’abord à contempler le bon grain semé en nos cœurs. Et rendons grâce à Dieu pour ce qu’il fait de nous, en nous, à travers nous.
Si seulement nous avions les uns sur les autres ce regard plein d’espérance, un regard qui ne s’arrête pas sur la taille infiniment petite de la graine semée mais qui, à travers elle, discerne la plante déjà en germe.
J’ai devant les yeux le visage de quelques jeunes parmi ceux que j’ai eu la chance d’accompagner plusieurs années. Jetés de partout, bien peu d’adultes auraient pariés sur leur avenir. Il a fallu la patience du semeur pour les apprivoiser et leur faire découvrir qu’ils étaient capables de beaucoup plus que l’image qui leur était renvoyée d’eux-mêmes. J’ai revu récemment trois d’entre eux, tellement heureux de me parler de leur travail et de leurs copines. Le blé a été plus fort que l’ivraie dans leur vie.
La remarque d’un frère, alors que j’étais tout jeune franciscain et que je désespérais de porter tant de limites et de défauts, m’a beaucoup aidé et libéré. Il me disait : Tes traits de caractères, tes défauts, il te faudra sans doute les porter toute ta vie. Bien sûr, il faut essayer de corriger ce qui doit et peut l’être. Mais ne te polarise pas tant sur tes défauts que sur les dons que Dieu a semés en toi. Mets ton énergie à développer tes dons et l’ivraie paraîtra moins envahissante.
Vous demanderez aux frères si cela s’est réalisé ! En tout cas, ce regard plein de sagesse et d’espérance d’un frère sur ma vie m’a beaucoup aidé.
J’y repense quand des personnes viennent recevoir le sacrement de la réconciliation en se plaignant de toujours retomber dans les mêmes excès, les mêmes travers. Et oui, l’ivraie et le bon grain seront toujours inextricablement liés dans nos vies. C’est là notre condition d’homme.
Mais ce n’est pas un combat à armes égales. Si, humainement, le combat pourrait sembler perdu d’avance, dans la foi, nous savons que le blé germera et donnera du bon fruit. En Christ, nous sommes déjà sauvés. En Christ, la vie est déjà victorieuse sur le mal et la mort.
Nous ne devons pas cette victoire à nos propres forces. Elle nous est donnée. Nous avons d’abord à accueillir et à nous réjouir de cette vie qui pousse inexorablement.
Ce qui est merveilleux, c’est que nous sommes toujours en croissance. Nous n’avons pas été façonnés une fois pour toute, comme un objet sortant des mains du potier. Comme la graine semée en terre, nous sommes toujours en croissance, en devenir. Nous avons simplement à nous laisser soigner par le jardinier qui s’occupera lui-même, au temps voulu, des mauvaises herbes. Le Seigneur sait ce qu’il fait, faisons-lui confiance. Abandonnons-nous à sa grâce.
Cette force de vie toujours à l’œuvre, c’est l’Esprit Saint répandu en nos cœurs, l’Esprit qui vient au secours de notre faiblesse et qui intervient pour nous par des cris inexprimables. L’Esprit qui veut ce que Dieu veut.
Viens, Esprit Saint, viens embraser le cœur de tes fidèles.
Frère Nicolas Morin