« Cette parole est rude qui peut l’entendre ? »
Nous arrivons à la fin de ce beau discours de Jean sur le pain de vie. Ce long discours il faudrait le relire en entier tant il est dense, profond et même déconcertant. L’heure de la décision a sonné. Comme les arrivants sur la terre promise, à la suite de Josué ont eu à choisir une bonne fois pour toutes quel Dieu ils voulaient servir, les auditeurs de Jésus sont au pied du mur. Accepterons-t-ils cette parole choquante ? Continueront-ils à suivre ce Maître dont les paroles paraissent insensées ?
Essayons de voir plus clair. Le torchon brûle entre Jésus et ses disciples. Tous ne semblent pas en mesure d’entendre et de suivre les paroles décapantes qu’il propose à ceux qui le suivent. Ne leur jetons pas trop vite la pierre car à certains moment nous sommes nous aussi dans la même cohorte. Qui peut dire que parfois il n’est pas passé par des doutes et même de l’incroyance ? La maturité dans la foi passe parfois par des zones de tâtonnements, de questionnements.
Plutôt que de choisir le silence, Jésus préfère mettre à jour le malentendu. Cette clarification était nécessaire puisque sa parole en a fait fuir beaucoup. Mais son souci n’est pas de convaincre à tout prix mais de clarifier ce qui se joue dans son compagnonnage. Sa posture libère et ouvre un espace : « Voulez-vous partir vous aussi ? » Sous-entendu : Si vous devez le faire, faites-le. La question est belle car elle prend au sérieux la difficulté, libère les disciples de tous liens affectifs mal placés et permet à chacun de se positionner de façon personnelle.
A sa façon, Jésus rejoint l’alternative centrale de la Bible : « C’est la vie et la mort que j’ai placé devant toi…choisis la vie » (DT. XXX 19) Jésus actualise ce choix personnel, difficile et salvateur. Ne restent alors que les disciples assez fous pour choisir la vie malgré le chemin escarpé annoncé. Mais c’est seulement débarrassés de l’illusion de la facilité et de la gloire qu’ils pourront commencer ce chemin.
Mais pourquoi cette insistance à s’offrir en nourriture ? Jésus ne dit-il pas : « Je suis le pain vivant…Si quelqu’un mange de ce pain il vivra à jamais » (Jean VI 51) Sans doute parce que dans la logique du vivant, manger est le plus sûr moyen d’incorporer. Incorporer le Christ et sa Parole ce n’est pas seulement écouter, apprendre, interpréter. C’est goûter l’Evangile, le mâcher, le ruminer, l’absorber, l’assimiler. C’est le faire descendre de la tête aux entrailles, c’est passer de la compréhension intellectuelle au tressaillement de notre tréfonds.
Car je peux écouter l’Evangile et laisser sa Parole à la surface de mes pensées. Je pourrais même jusqu’à le comprendre sans pour autant encore l’incorporer. Quand François découvre l’Evangile, il est transporté de joie dans l’Esprit Saint et il s’écriera : « Voilà ce que je veux, ce que je cherche, ce que du plus profond de mon cœur je brûle d’accomplir » ( I Cel. 22)
L’Evangile, il nous faut l’apprendre non pas seulement par la raison ou par le cœur, mais aussi par le corps. Il faut qu’il nous devienne naturel. Afin qu’il nous soit pas seulement un habit, mais une peau ; pas seulement une peau mais l’organe vitale de nos vies. Afin que si nous venions à l’oublier, chaque cellule de notre être puisse témoigner qu’il est déjà et pleinement incorporer à ce que nous sommes.
« T’incorporer. Non pas seulement te comprendre mais t’assimiler à chaque cellule de mon être.
Et si je viens à t’oublier, que ce soit dans mes veines que circule l’évidence de ta Présence » Marion Muller-Colard
Frère Max de Wasseige