Dimanche dernier, une dizaine de jeunes sont restés manger à la Fraternité après la messe. Vivien nous partageait sa souffrance devant l’indifférence de ses collègues quand il essayait de leur partager sa foi. Pourquoi ce que nous expérimentons comme un trésor pour notre propre vie n’intéresse-t-il pas ?
Poser la question ainsi, c’est partir de nous-mêmes. Nous aimerions faire découvrir à d’autres ce qui est bon pour nous. Mais avons-nous pris le temps de les écouter eux ? De quoi ont-ils faim et soif ? Que disent-ils de leurs besoins ?
Une telle démarche n’est pas sans risque pour nous. Sans doute n’aurons-nous pas de réponse toute faite et immédiate. Au-moins leur aurons-nous fait ce merveilleux cadeau d’une écoute gratuite, désintéressée : prendre au sérieux ce qui fait leur vie, avec ses tâtonnements, ses rêves, ses échecs, ses désirs…
N’est-ce pas ce que fait Jésus ? Relisez sa rencontre avec la Samaritaine. Il lui révèle une soif bien plus profonde mais aussi le chemin pour l’assouvir : « Si tu savais le don de Dieu ? » Le puits qu’elle recherche avec avidité est à caché au plus profond d’elle-même. Il ne demande qu’à jaillir.
Pareillement, cette foule qui poursuit Jésus au bord du lac depuis trois jours est avide de miracles, certes, mais elle ressent en elle une faim bien plus profonde que seul Jésus pourra combler. Jésus ne se moque pas de cette démarche au départ sans doute ambiguë. Il prend le temps d’accueillir, d’écouter, d’échanger longuement avec tous, à tel point que le soir tombe sur une foule affamée. Que faire ?Chez les autres évangélistes, ce sont les disciples qui se tournent vers Jésus pour l’inviter à renvoyer la foule. Dans l’évangile de Jean, Jésus provoque ses disciples : « « Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ? » Il ne demande pas comment mais où ? Où se trouve la vraie nourriture, la vraie boisson ?
Philippe est affolé : « Le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. » C’est une réaction bien connue. L’enjeu est tellement énorme qu’il nous paralyse. Nous ne pouvons rien faire. N’est-ce pas notre réaction face à tant de défis qui menacent notre planète ?
Un autre disciple, pourtant, obéit à la demande de Jésus : « Il y a là un jeune garçon qui a cinq pains d’orge et deux poissons, mais qu’est-ce que cela pour tant de monde ! » A l’échelle de la foule, de fait, ce n’est rien. Mais à l’échelle de ce jeune garçon, ce don n’a pas de prix : il donne tout ce qu’il a. A travers son geste, il se donne tout entier. Et la générosité d’un seul change le cours de l’histoire. Ce garçon ne serait-il pas la figure de Jésus lui-même dont le don total et dérisoire sur la croix sera le ferment du Salut de toute la Création ?
Jésus accueille ce « presque rien », comme il a accueilli l’obole de la veuve, et il rend grâce au Père de qui vient tout don. Ainsi, lorsque je donne, lorsque je partage, je puise à une source qui ne tarit pas. Je partage ce qui m’a d’abord été donné. « Qu’ai-je que je n’ai reçu ? » Si je thésaurise le don offert, si je l’enfouie dans la terre, il se dessèche et jamais ne portera de fruit. Mais si je le partage, il porte du fruit en abondance parce que, en rendant grâce à Celui qui en est la source, je permets à d’autres de découvrir le chemin de cette source, de s’ouvrir à la richesse infinie qui sommeille en eux.