Homélie du dimanche 28 avril 2024, 5ème Dimanche de Pâques année B, du frère Nicolas Morin

SANS MOI, VOUS NE POUVEZ RIEN FAIRE Jean 15, 1-8

C’était un magnifique sarment. Chaque printemps, il s’élançait, plein d’ardeur et de vigueur, et ses fleurs recélaient la promesse de lourdes grappes de raisin bien sucrées.

Il ne pouvait s’empêcher de se comparer aux autres sarments de la vigne : ses fruits n’étaient-ils pas plus gros, plus noirs, plus sucrés ?

Il aurait nagé dans un bonheur sans limite s’il n’y avait eu l’hiver, le long et froid hiver qui le dépouillait de tous ses attraits. Plus un promeneur n’avait d’yeux pour lui. Pourquoi fallait-il ce si long hiver avant que la vie n’éclate de nouveau ?

Une colère sourde, secrète, habitait notre sarment. Il était en colère contre les vignerons qui, jour après jour, passaient entre les rangées de vigne pour les surveiller, les tailler, les émonder. Il aurait tant voulu grandir en liberté, sans entrave ni limite, et donner des milliers de grappes.

Il se mit à souffrir de ce lien qui l’unissait au cep de vigne. Il en avait assez de dépendre d’un autre. Il voulait vivre, enfin libre.

Un jour, profitant d’un puissant coup de vent, le sarment se détacha du cep. Il se laissait porter par le vent, ivre de lumière et de liberté. Survolant la vigne, il plaignait tous ces sarments demeurés attachés à leur cep. « Jamais ils ne connaitraient l’ivresse de la liberté », se disait-il.

Mais bientôt, notre sarment connut la soif et la faim. Il perdit de son éclat. Ses feuilles ternirent, se craquelèrent puis tombèrent sur le sol en tourbillonnant. Le cep se trouva nu, sans attrait, et tomba à son tour lourdement sur le sol, entre deux rangées de vigne. Désespéré, il se mit à pleurer sur son sort.

Alerté par les pleurs, un sarment se pencha pour lui demander : « Pourquoi pleures-tu ? » Alors, il lui raconta tout, ses rêves et ses désillusions. Il se sentait si pauvre, nu, sans espérance.

Le sarment lui dit alors : « La vie ne s’achète pas ni ne se conquiert. La vie est don sans cesse offert à celui qui ouvre les mains pour l’accueillir. Accueillir la vie, c’est participer à un mystère infini, se découvrir relié à toute la Création. Chaque sarment est une étincelle qui reflète l’Amour qui sans cesse le crée, l’irrigue de sa sève et lui donne de porter fruit. Être libre, vois-tu, c’est consentir à se laisser aimer, accueillir en soi cette puissance de Vie qui nous vient de Dieu et la laisser s’épanouir à travers les fruits qui nous sont donnés. »

Le silence s’installa. Il faut du temps pour qu’une parole prenne corps en soi. Survint alors, inattendue et gratuite, comme une lumière qui vint réchauffer et donner vie à notre sarment fragile et nu, certitude d’une présence, accueil d’une relation. Notre sarment eut l’impression de naître, de sortir de ce long hiver, émondé, blessé, mais libre, libre de lui-même pour enfin laisser couler en lui la sève telle une grâce toujours offerte.

Frère Nicolas Morin

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