SAINTE FAMILLE ?
Pourquoi donc l’Église nous propose-t-elle ces textes en cette fête de la Sainte Famille ? Que nous disent-t-ils de la famille ? Et de la sainteté ? A y regarder de près, cette fête vient bousculer bien des idées reçues.
Trois thèmes traversent les lectures de ce jour : la souffrance, la désappropriation, et les liens de filiation.
Le livre de Samuel nous conte l’histoire d’une femme en grande souffrance. Anne est mariée à Elqana, un homme de la montagne. Elqana l’aime tendrement, davantage même que sa deuxième épouse, Perina, qui lui a pourtant donné de nombreux enfants. Ne pouvant enfanter, une partie d’elle-même est comme morte. Tout l’amour de son mari ne peut la consoler.
Chaque année, la famille d’Elqana se rend au sanctuaire de Silo pour y prier. Tandis que Perina exhibe avec fierté sa progéniture, Anne s’abime dans la prière et la supplication : « Seigneur, regarde avec bonté la peine de ta servante, souviens-toi de moi, n’oublie pas ta servante. »
Et Dieu a entendu. Et Dieu a exaucé. Il a donné un fils à Anne et Elqana. Anne reçoit cet enfant comme un cadeau. Le nom de l’enfant dit toute sa foi : Samuel, Dieu exauce.
Elle aurait pu veiller jalousement sur cet enfant si longtemps attendu, en faire sa chose. Au contraire, l’enfant une fois sevré, âgé d’environ trois ans, elle l’emmène au sanctuaire de Silo pour le consacrer au Seigneur. Elle le confie au prêtre Eli.
Au cœur de sa souffrance, Anne n’a pas perdu confiance, faisant monter vers Dieu sa détresse. Et une fois comblée, elle rend toutes grâces au Seigneur, lui de qui vient toute vie. Elle accueille et rend grâce.
La famille de Jésus est, elle aussi, pour le moins atypique. Jésus n’est certainement pas le fils dont avaient rêvé ses parents avant leur mariage ! Il ne va pas cesser de les déconcerter. Il leur échappera toujours. Cela commence dès sa naissance où les bergers et les mages leur volent cet instant d’intimité avec le nouveau-né. Jésus élargit le cadre familial. Sa vie est donnée.
C’est encore Jésus qui va ouvrir ses parents à un amour plus grand, plus large. Comme Anne, Marie va devoir apprendre que l’enfant qui lui est donné ne lui appartient pas. Et cela ne va pas se faire sans souffrance, sans déchirement. L’épisode de Jésus au Temple que nous venons d’entendre en est un exemple.
« Comment se fait-il que vous m’ayez cherché ? Ne savez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ? »
Jésus ne nie pas les liens qui l’unissent à Marie et Joseph. Il repart d’ailleurs avec eux à Nazareth. Il nous dit que tous nos liens s’enracinent et sont le reflet d’une paternité qui nous précède. Tous nos liens s’enracinent dans la vie trinitaire.
Par la suite, Marie sera plusieurs fois éprouvée. Pensons à Cana : « Femme, que me veux-tu ? » Et cet épisode où la famille de Jésus cherche à le saisir alors qu’il enseigne dans une maison : « Il est devenu fou ! » Et Jésus de les interpeller : « Qui sont ma mère, mes frères, mes sœurs ? Celui qui écoute la Parole de Dieu et qui la met en pratique. »
Tout l’itinéraire de ces deux femmes nous parle d’accueil de l’inattendu de Dieu et de désappropriation. Saint Jean récapitule, dans ce passage lumineux, l’incroyable nouveauté du Christ :
« Bien-aimés, voyez quel grand amour nous a donné le Père pour que nous soyons appelés enfants de Dieu – et nous le sommes. Bien-aimés, dès maintenant, nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous le savons, quand cela sera manifesté, nous lui serons semblables car nous le verrons tel qu’il est. »
Quelle merveilleuse définition de la sainteté : désirer être semblable au Père.
Et voilà que notre horizon s’ouvre, nos frontières s’effacent. Jésus nous donne une famille infiniment plus vaste, plus belle, plus diversifiée que n’importe laquelle de nos familles biologiques.
La fête de la Sainte Famille, c’est la célébration d’une humanité réconciliée qui se reçoit du Père des cieux. C’est aussi une tâche à accomplir, notre vocation. L’Église est une grande famille, faite pour ceux qui n’y sont pas encore afin que tout homme, toute femme, puisse se découvrir enfant du Père.
Bonne fête, cher frère, chère sœur en Christ !
Frère Nicolas Morin