Les deux guérisons
Marc nous parle de deux guérisons insérées l’une dans l’autre. Une petite fille qu’il faut guérir de la mort et une femme qu’il faut guérir de ses pertes de sang. Il n’y a pas d’âge pour guérir. Jésus demande surtout la foi. Jésus dira à Jaïre : « Ne crains pas, crois seulement » Les miracles ne sont pas de démonstrations exceptionnelles, ils ne se comprennent que dans la foi. Ces deux femmes ont ceci de commun : la première est morte à 12 ans, la deuxième était malade depuis 12 ans. Nous regarderons aujourd’hui la deuxième.
La femme dont nous parle Marc, nous ne connaissons ni son nom, ni son histoire, mais nous pouvons supposer qu’elle vient à Jésus craintive, affolée, tremblante. Incapable de s’adresser d’elle même à Jésus, bousculée par la foule. Sa maladie la coupe des autres, la marginalise, et la rend culturellement impure.
En effet, cette femme juive est en infraction grave avec la loi, en état d’impureté légale et d’impureté contagieuse. Elle doit se tenir écartée de la foule et vivre comme une lépreuse dans un isolement qui dure depuis douze ans, et qui doit être plus pénible à vivre que la maladie elle-même. C’est une intouchable, qui vit dans l’humiliation et la marginalisation. Sa vie s’effilochait, s’écoulait dans tous les sens du mot, sans le moindre sens, et sans le moindre profit. Mais parfois, dans une vie très pauvre, il y a comme un sursaut de vitalité, d’espérance.
C’est ainsi qu’elle plonge en quelque sorte dans la foule, elle s’y cache pour essayer, par derrière, de toucher, non pas Jésus, mais la frange de son manteau. (Dans la Bible le manteau est souvent perçu comme une seconde peau, un prolongement de la personne) . Elle veut toucher un petit bout de Lui ! Ce n’est donc qu’à la dérobée qu’elle ose ce contact qui est porteur d’espérance, de confiance et de l’élan de toute une vie : « Ah si je pouvais retrouver seulement ma dignité ! Si seulement disparaissait cette scandaleuse tache ! Que mon existence devienne enfin digne de ce nom ! »
Cette femme, dit laconiquement Marc, avait « tout dépensé » pour guérir, mais elle restait toujours plus pauvre, toujours plus vide, toujours plus seule avec son mal. Mais au delà de tous les interdits, de toutes les blessures affectives et corporelles la rencontre va avoir lieu.
Et si le courant passe entre la femme et Jésus c’est uniquement parce que la foi qui a mû la main de cette femme, et la confiance qui a fait oser ce geste du bout des doigts ont libéré en Jésus la force d’amour qui sauve.
Quand ma main se tend pour toucher Jésus, quand mon pied se met en marche à sa suite, jamais je ne serai repoussé, catalogué, enfermé dans mon mal. De même pour cette femme, il y a comme un contre-courant venant remplir tout le vide, une force qui coule de Jésus et vient tarir cet « écoulement ». L’énergie divine va libérer ce corps qui hurle la perte de sa vie. Oh bienheureuse fragilité qui a permis cette divine rencontre !
On aurait tort de ne voir dans ce récit qu’une « histoire de bonne femme ». Il peut arriver à n’importe qui, homme ou femme, de dire après un malheur : « mon cœur saigne encore », « après ce traumatisme je continue à perdre ma vitalité ». Nous avons tous une mémoire corporelle bien plus vivace que la mémoire cérébrale. Il y a des blessures qui peuvent saigner longtemps, mais elles peuvent devenir source de vie, si, à notre tour, nous osons toucher Jésus et nous laisser toucher par lui.
Mais la force, sortie à la dérobée, ne pouvait restée secrète. Il fallait mettre au jour cette nouvelle naissance, car la source est devenue vie, écoulement de vie. Et c’est la première fois que cette femme ne se sent plus blessée d’être femme. Il n’en est que plus important que son acte ne reste pas un vol à la tire ! Kierkegaard commentant ce texte dira : « Jésus se refuse de laisser ce lien secret, c’est pourquoi il tire la femme à la lumière ». Oui femme, tu as fait de toi-même ce geste dont tu avais besoin pour vivre. « Va en paix et soit guérie de ton mal »
« Dans ta source je voudrais plonger tout entier pour en ressortir
Renouvelé, ruisselant de fraîcheur, d’innocence et de joie ». (Evely)
Frère Max de Wasseige