5ème dimanche du Temps Ordinaire — Année B
MA VIE N’EST QU’UN SOUFFLE
Les lectures de ce dimanche s’ouvrent par le cri de Job : « Vraiment, la vie de l’homme sur la terre est une corvée. » Job vit une descente aux enfers. Il était si fier de sa nombreuse famille, de son troupeau non moins nombreux, de ses richesses qui lui garantissaient un avenir paisible. Homme juste, Job ne manquait pas de remercier Dieu chaque matin pour toutes les grâces reçues.
Et voilà que, soudainement, tout s’écroule. Adieu famille, troupeau, richesse. Job se retrouve entièrement seul, nu. Lui qui se pensait protégé, le voilà qui se découvre infiniment vulnérable.
« Ma vie n’est qu’un souffle. » Seul ce souffle le relie à la vie, fait de lui un vivant. Au cœur de sa vulnérabilité, Job prend conscience de ce fil infiniment fragile et précieux qui le relie à la source de toute vie. On ne se donne pas à soi-même son propre souffle, on le reçoit.
Je pense ici au deuxième récit de la Création dans le livre de la Genèse : « Alors le Seigneur Dieu modela l’homme avec la poussière tirée du sol ; il insuffla dans ses narines le souffle de vie, et l’homme devint un être vivant. »
Sur la croix, Jésus rend son dernier souffle. Il s’abandonne tout entier au Père. Il accepte de tout perdre, de ne rien garder de lui.
Et le voici, au matin de la résurrection, qui souffle sur ses disciples apeurés : « Recevez l’Esprit Saint. » C’est pour ces hommes et ces femmes une nouvelle Création, une nouvelle naissance.
Quand tout s’écroule, alors que nous sommes confrontés à notre radicale pauvreté, il reste l’essentiel, ce souffle qui nous vient d’un autre et qui fait de nous des vivants, cette vie de Dieu sans cesse offerte à celui qui se sait assez pauvre pour l’accueillir.
Le cri de Job vient percuter tant de cris qui montent de notre terre blessée : cris des agriculteurs, des enseignants, du personnel soignant… Mais aussi cris des Ukrainiens, des Palestiniens, des Israéliens… La liste est si longue. Et il y a tant de cris silencieux. Les nôtres, peut-être…
Comme Job, nous nous pensions à l’abri, en sécurité, et nous nous découvrons soudain infiniment vulnérables.
Peut-être est-ce l’occasion de nous demander ce que nous avons à entendre de ce qui nous arrive. N’avons-nous pas cédé aux idoles de l’idéologie du progrès, de la science répondant à tous les problèmes, de l’accroissement infini des richesses…
Nous nous sommes crus tout-puissant, et nous nous découvrons vulnérables. Comment retrouver du souffle, du sens à notre vie ?
Jésus nous ouvre un chemin. Il n’a pas peur de la vulnérabilité. Au contraire, il la choisit. Sa vulnérabilité l’ouvre à son Père. Chaque jour, avant l’aube, il part au désert reprendre souffle dans ces longs face-à -face avec son Père.
Et sa vulnérabilité l’ouvre aux petits et aux pauvres. Ils viennent à lui comme on vient se désaltérer à la source. Ils viennent recevoir de lui la vie, reprendre souffle à ses côtés.
Contemplons ce matin cette si belle rencontre entre Jésus et la belle-mère de Simon-Pierre.
Jésus trouve Simon dans la tristesse et l’angoisse. Sa belle-mère est malade. Et il confie sa peine à Jésus, tout en attendant de lui l’impossible. Il pressent qu’en Jésus, la vie est toujours plus forte que la mort. Jésus n’est pas indifférent à notre souffrance. Au contraire, notre souffrance devient la sienne. Il la porte avec nous. Il nous dit qu’à travers la souffrance, un chemin de vie est possible.
Jésus ne prononce pas un mot, pas une parole. Il pose un geste : il s’approche de la vieille femme et lui prend la main. La main, dans le monde biblique, est le signe du pouvoir, de l’autorité. Le pouvoir de Jésus est au service de la vie. « Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir » (Mc 10,45). Contemplez longuement ces deux mains qui se rejoignent, se touchent, se serrent, s’appellent. Main tendue de cette femme souffrante, blessée, aspirant à la guérison, à la vie. Et main de Dieu qui vient saisir la sienne pour la relever. Ce verbe relever est employé le matin de Pâques pour signifier la résurrection de Jésus. Jésus s’est relevé d’entre les morts. Et à sa suite, il vient nous relever, nous ressusciter, il nous invite à renaître.
Vais-je oser, à mon tour, tendre la main, cette main de pauvre qui aspire à la vie, à la reconnaissance, à la tendresse ?
Frère Nicolas Morin