UNE LOI POUR LA VIE
J’ai bien peur d’arriver la semaine prochaine manchot et borgne ! Une écoute trop rapide de l’évangile de ce jour pourrait nous décourager : Jésus n’est-il pas en train de nous mettre sur le dos des exigences que nous sommes incapables de mettre en œuvre ?
Pourtant Jésus dit par ailleurs : « venez à moi, vous tous qui ployez sous le poids du fardeau (de la Loi) et je vous procurerai le repos car mon joug est léger et mon fardeau léger. » Et il n’a pas de mots assez durs pour dénoncer scribes et pharisiens qui font peser sur les gens de pesants fardeaux alors qu’ils ne les appliquent pas eux-mêmes.
La Loi est belle et bonne, nous dit Jésus, mais elle perd tout son sens si on oublie sa finalité profonde. La Loi est toujours au service de la vie ; elle est chemin de vie.
C’est l’expérience que font tous les parents ou les éducateurs. C’est bien parce que je l’aime et que je veux pour lui le bonheur, que je vais transmettre à l’enfant les repères, les lois, qui vont lui permettre de se construire et de vivre dans une relation juste avec les autres. Et l’enfant ne peut intégrer ces règles que si elles sont transmises dans l’amour et l’affection.
C’est cette même expérience fondatrice que fait le peuple de Dieu au désert. L’expérience première, ce n’est pas le don de la Loi, c’est l’expérience de la libération d’Égypte. Dieu aime et libère son peuple, il le fait accéder à la liberté. Il lui ouvre le chemin de la vie.
Dans la Bible, la Loi n’est pas d’abord un ensemble de prescriptions mais un chemin, une voie qui ouvre au bonheur en Dieu.
Sur ce chemin, Dieu ne nous laisse pas sans repères. Comme les balises sur les chemins de randonnées. Et parfois il s’offre à nous deux chemins : il est un chemin large, dégagé, facile sur lequel naturellement je m’engagerais ; et pourtant les balises m’indiquent un autre chemin, escarpé, pentu, parsemé de cailloux et de ronces… Je vais emprunter ce chemin parce que j’ai confiance en celui qui l’a balisé. Et bien, Dieu m’invite à lui faire confiance, à accueillir sa parole et à la mettre en pratique parce qu’elle est chemin de vie.
La parole première, fondatrice, l’enfant la reçoit dès la naissance. Et c’est le père qui, symboliquement, la donne : tu n’es pas le tout de ta mère, tu ne fais pas un avec elle. Le père vient casser ce désir de toute-puissance dont nous gardons la nostalgie toute notre vie : être le tout de l’autre, être tout pour lui, être dans une maîtrise totale, parfaite. Et c’est bien parce que le père vient casser la relation fusionnelle entre l’enfant et sa mère qu’une relation devient possible, une parole échangée. L’enfant va pouvoir se construire dans une relation de personne à personne, entre un je et un tu.
C’est bien cela qui est en jeu dans le premier commandement : tu n’es pas Dieu. Tu n’es pas à toi-même ta propre origine. Ta vie t’est donnée. Choisis la vie. Aime ta vie telle qu’elle est, avec ses fragilités, ses imperfections. Dieu fait de chacun de nous des hommes et des femmes libres, c’est-à-dire capables de relations, capables aussi de lui dire NON, capables de choisir un autre chemin. « Si tu veux, tu peux », nous dit-il. Dieu nous ouvre un chemin, nous indique une direction, mais il attend de nous une réponse personnelle. « Que ton oui soit oui et ton non soit non. »
Le premier commandement nous protège de nous-mêmes, de cette illusion de toute-puissance, et rend possible une relation personnelle avec Dieu.
La deuxième série de commandements porte sur le vivre-ensemble. La Loi offre un cadre qui permet aux hommes de vivre ensemble sans que domine la loi de la jungle, la loi du plus fort.
Et vous avez remarqué que les domaines dont parle Jésus ont tous un rapport avec la fidélité à la parole donnée et une justesse dans les relations. Savoir demander et donner le pardon. Être fidèle, c’est s’engager, donner sa parole pour ne pas la reprendre. Prendre au sérieux la parole donnée, c’est aussi refuser de s’engager dans des serments ou des promesses sans lendemain…
Jésus donne du poids à notre vie, il donne du poids à nos relations, il donne du poids à la parole donnée, échangée. Il ouvre pour nous des horizons infinis. Il nous invite à vivre de sa vie, à aimer comme il nous aime. Il donne du sens à notre marche. Il sait bien que nous sommes faibles et fragiles. Il nous demande simplement de compter sur lui, de nous appuyer sur lui qui marche, jour après jour, à nos côtés.
Frère Nicolas Morin