EPIPHANIE
Pendant longtemps, la fête de l’Épiphanie s’est limitée pour moi aux rois mages que l’on avançait progressivement dans la crèche et à la dégustation de la traditionnelle galette. Jusqu’au jour où, séminariste en insertion dans un quartier populaire de Nantes, les chrétiens de la paroisse m’ont fait découvrir le sens véritable de la fête.
Dans ce quartier regroupant des habitants de 42 nationalités, la paroisse elle-même comptait des chrétiens de 14 nationalités différentes ! Et voilà que ces hommes et ces femmes, qui avaient souvent dû fuir leur pays dans des conditions dramatiques et se retrouvaient en France citoyens de seconde zone, se découvraient membres d’une même communauté, d’une même famille.
Le jour de l’Épiphanie, chacun revêtait ses plus beaux habits et tous avaient à cœur de présenter à Dieu ce qu’ils avaient de plus beau, de plus précieux : une danse, un chant, une prière, une spécialité culinaire… Et ces gens, ordinairement rejetés, humiliés, exploités, recouvraient toute leur dignité, leur fierté, leur identité. Le plus beau, c’était la joie qui transfigurait leurs visages et la lumière qui brillait au fond des yeux, cette lumière annoncée par le prophète Isaïe.
Quelle émotion lorsque nous avons prié le Notre Père, tous ensemble, mais chacun dans sa propre langue.
Et tous, nous sommes allés communier au même pain, corps et sang du Christ partagé, offert en nourriture à la multitude… Désormais, plus de barrière de langue, de couleur de peau, de milieu social… L’enfant, né dans la pauvreté d’une crèche, Dieu avec nous, nous révèle notre identité commune et notre seule vraie richesse : tous, nous sommes créés, aimés et sauvés par Dieu. Tous, sans exception. Dieu ne fait pas de différence entre les hommes. Être chrétien, c’est vivre et annoncer ce salut offert à tous. C’est ce que dit magnifiquement saint Paul : « Ce mystère, c’est que les païens sont associés au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile. »
Nous voyons bien que, déjà, dans la fête de l’Épiphanie se profile une autre fête, celle de la Pentecôte, où tous entendent dans leur langue les merveilles de Dieu.
Voilà la fête de l’Épiphanie : ceux qui paraissaient les plus éloignés, les moins aptes à accueillir la Bonne Nouvelle du salut, sont en fait les premiers à reconnaître dans la pauvreté et l’humilité de l’enfant dans la crèche, Celui qui vient leur redonner leur dignité. Les bergers vivent à l’écart de tous, méprisés, dans une extrême pauvreté. Les mages ne sont même pas de chez nous. Ils viennent d’ailleurs, sans doute de Perse, et ils suivent une autre religion. Loin d’adorer le Dieu unique, ils cherchent dans les astres les réponses à leurs questions. Alors pourquoi les bergers et les mages sont-ils les premiers à reconnaître en Jésus le Sauveur attendu ?
Même s’ils n’avaient pas tout compris, même si leur religion posait bien des questions, les mages cherchaient un sens à leur vie. Et pour le découvrir, ils ont été capables de quitter leur vie bien balisée, sans surprise, pour suivre l’étoile. Comme Abraham, 1850 ans avant eux… La route n’a pas dû être simple. L’étoile par moment disparaissait. Pourtant, ils ont continué à marcher, à chercher, mû par une étonnante confiance.
Quel contraste avec les chefs des prêtres et les scribes qu’ils vont consulter pour savoir où l’enfant était né ! Voilà des hommes qui depuis toujours scrutaient les Écritures, dans l’attente du prophète annoncé. D’ailleurs, ils n’hésitent pas une seconde et, à la question des mages, citent le prophète Michée désignant Bethléem comme lieu de naissance du Messie. On aurait pu s’attendre à ce que ces hommes pieux et savants bondissent de joie et se mettent dans tarder en route à la suite des mages. Et bien non ! Ils sont comme paralysés. Peut-être l’annonce du Messie leur fait-elle peur ? Peur de voir leur vie transformée, leur pouvoir remis en cause. Leur vie est dans la lettre de leur Livre mais pas dans la réalité dont le livre parle. Danger permanent pour nous tous !
En cette fête de l’Épiphanie, nous pourrions nous demander où nous en sommes dans notre foi.
Sommes-nous comme les bergers, nous émerveillant de ce que le Seigneur est venu nous chercher, nous appeler, malgré notre pauvreté, notre péché, nos doutes ?
Sommes-nous comme les mages, peut-être pas très assurés dans notre foi, cherchant à droite et à gauche des réponses à nos questions, toujours en recherche ? Quelle étoile poursuivons-nous ?
Sommes-nous comme les prêtres et les scribes, figés dans leur savoir et paralysés par leurs peurs ?
Frère Nicolas Morin