Homélie (1) du dimanche 5 novembre 2023, 31ème dimanche du Temps Ordinaire – Année A

LES PIÈGES DU POUVOIR

Mais qu’ont donc fait ces pauvres scribes et pharisiens pour mériter une telle volée de bois vert de la part de Jésus ? Car enfin, ils forment la crème du peuple élu, fervents dans leur foi au Dieu unique et scrupuleux à respecter la Loi de l’Alliance.

À prendre ce texte au premier degré, nous pourrions tomber dans l’attitude facile du « tous pourris », étant bien entendu que nous n’en sommes pas !

Or Jésus s’adresse aux foules et à ses disciples ; à nous, par conséquent. Que veut-il donc nous faire comprendre ? Au-delà des scribes et des pharisiens, sa mise en garde s’adresse à tous ceux qui exercent une autorité, un pouvoir, si petit soit-il. Qui d’entre nous peut dire qu’il n’exerce aucun pouvoir, aucune autorité sur un autre, en famille, au travail, dans un engagement associatif, dans les relations de voisinage… Nous le savons bien, tout pouvoir, toute autorité comporte des risques. Jésus nous donne ici l’occasion de relire nos responsabilités. Il sou-ligne quatre pièges :

Premier piège : « ils disent et ne font pas » ; deuxième piège : pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service ; troisième piège : vouloir paraître ; quatrième piège : se croire important ! Avoir le goût des honneurs.

Premier piège : « Ils disent et ne font pas. » De nombreux commentaires juifs de la Bible insistaient sur l’importance de pratiquer ce qu’on enseigne : « C’est pour ce-la qu’a été donnée la Tora : pour apprendre, pour enseigner, pour garder et pour accomplir » ; un autre commentaire rabbinique disait : « Belles sont les paroles dans la bouche de qui les pratique, beau celui qui les enseigne et beau celui qui les pratique. » Jésus en dira autant : « Celui qui observera les commandements et les enseignera, celui-là sera déclaré grand dans le Royaume des cieux » (Mt 5,19). « Ce n’est pas en me disant : “Seigneur, Seigneur !” qu’on entrera dans le royaume des Cieux, mais c’est en faisant la volonté de mon Père qui est aux cieux » (Mt 7, 21).

Deuxième piège, pratiquer l’autorité comme une domination et non comme un service : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. » Je pense ici à la recommandation que m’avait faite le frère responsable alors que je travaillais dans un foyer d’accueil de personnes sans-abri : accueille-les, écoute-les mais ne posent pas de questions sur leur vie, leur passé. Avec la meilleure volonté du monde, sous prétexte de vouloir aider les personnes, on risque d’être intrusifs, donneurs de leçons. Observez plutôt la grande délicatesse de Jésus qui refuse de savoir à notre place de qui est bon : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? »

Troisième piège, vouloir paraître : « Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères1 et rallongent leurs franges. » Là encore, nous pouvons utiliser un service, une mission pour nous faire « mousser » : cela peut-être valorisant de travailler au service des pauvres, ou d’être exorciste… Rappelons-nous toujours que la fécondité de notre mission nous est donnée par le Seigneur. Nous pouvons être légitiment heureux et fiers de ce que nous faisons, mais sans oublier que la fécondité de notre mission nous est donnée par le Seigneur. Nous sommes des instruments de sa grâce.

Quatrième piège, se croire important, avoir le goût des honneurs : « Ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques, ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. » Mettre sa fierté et sa sécurité dans l’apparence, un titre, des décorations… Cela cache parfois une grande fragilité intérieure. Notre roc, celui en qui nous pouvons mettre notre fier-té, c’est le Christ.

Après cette énumération, le texte se retourne : « Pour vous » dit Jésus ; c’est la clé de ce texte qui nous invite à un nouveau mode de vie et de relation. « Ne vous faites pas donner le titre de Rabbi, ne donnez à personne sur terre le nom de Père… ne vous faites pas non plus donner le titre de maîtres. Ne donnez à personne sur terre le nom de Père, car vous n’avez qu’un seul Père, celui qui est aux cieux. » Jésus termine en disant : « Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. » de Dieu.

Cet appel de Jésus a résonné très fort dans le cœur de François d’Assise qui in-vite ses frères à mettre en pratique l’Évangile. Voici ce qu’il écrit dans la première Règle :

« Les ministres et serviteurs se rappelleront que le Seigneur dit : Je ne suis pas venu pour être servi mais pour servir.

« Sur aucun homme, mais surtout sur aucun autre frère, nul frère ne se prévaudra jamais d’aucun pouvoir de domination. Comme dit le Seigneur dans l’Évangile, les princes des nations leur commandent, et les grands des peuples exercent le pouvoir ; mais il n’en sera pas de même parmi les frères : qui voudra être le plus grand parmi eux sera leur ministre et serviteur, et le plus grand parmi eux sera comme le plus petit.

« On ne donnera à aucun frère le titre de prieur, mais à tous indistinctement ce-lui de frères mineurs. Ils se laveront les pieds les uns aux autres.

« Tous les biens, rendons-les au Seigneur Dieu très haut et souverain ; reconnaissons que tous biens lui appartiennent ; rendons-lui grâces pour tout, puisque c’est de lui que procèdent tous les biens. Lui, le Dieu très haut et souverain, le seul vrai Dieu, qu’il obtienne, qu’on lui rende, qu’il reçoive tous honneurs et respects, toutes louanges et bénédictions, toute reconnaissance et toute gloire : car tout bien est à lui qui seul est bon. »

Frère Nicolas Morin

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