Relisons le début de ce très beau passage du livre d’Isaïe : « Je chanterai pour mon ami le chant du bien-aimé à sa vigne (le décor est planté : il s’agit d’une histoire d’amour que va nous compter Isaïe, un amour blessé, contrarié). Mon ami avait une vigne sur un coteau plantureux. Il y retourna la terre et en retira les pierres pour y mettre un plan de qualité. Au milieu, il bâtit une tour de garde et creusa un pressoir. »
Avec quel soin, avec quel amour Dieu entoure sa vigne. Il ne néglige aucun effort, aucun investissement. Car son désir le plus cher est que sa vigne donne du fruit en abondance, de beaux fruits.
Quelle est donc cette vigne ? Pour Isaïe, c’est clair : il s’agit du peuple élu, le peuple d’Israël, ce peuple qui se reçoit tout entier de Dieu et dont il attend de beaux fruits.
Mais de quels fruits s’agit-il ? Qu’attend donc Dieu de son peuple ? Isaïe nous le dit à la fin du passage : il en attend le droit et la justice ; il attend que nous nous comportions les uns avec les autres comme il se comporte avec nous, lui qui est lent à la colère et plein d’amour, attentif au petit et au pauvre, à la veuve et l’orphelin.
Dans notre méditation, nous pouvons appliquer l’image de la vigne à d’autres réalités : cette vigne n’est-elle pas l’humanité tout entière ? Mais peut-être aussi sommes-nous, chacune et chacun d’entre nous, la vigne du Seigneur, cette vigne dont Dieu prend soin amoureusement ? Prenons le temps de nous émerveiller de l’attention de Dieu pour chacun de nous, de ce merveilleux jardinier qui attend que nous portions du fruit en abondance.
Dieu donne tout, puis se retire, comme le propriétaire partant en voyage dans la parabole que raconte Jésus. Dieu ne s’impose jamais à nous. S’il se fait discret, ce n’est pas qu’il se désintéresse de la vie du monde ; mais c’est parce qu’il nous veut créateurs de notre propre vie et de la vie du monde, co-créateurs avec lui.
Seulement, rien ne va comme Dieu l’avait prévu, espéré. Au lieu de donner de beaux fruits, elle en produit de mauvais, nous dit Isaïe : « Il en attendait le droit, et voici l’iniquité ; il en attendait la justice, et voici les cris de détresse. » Quelle brûlante actualité !
Si, à la suite d’Isaïe, Jésus reprend l’image de la vigne, il lui donne un sens un peu différent. Dieu n’est pas le vigneron mais ce propriétaire qui confie sa vigne à des vignerons avant de partir en voyage. Le temps voulu, il viendra réclamer sa part sur les fruits de la vigne. Car la vigne, ici, donne du fruit en abondance, mais les vignerons cherchent à se l’approprier, à se l’accaparer. Ils ne voient pas pourquoi le propriétaire aurait sa part. Alors que tout leur est donné gratuitement, ils refusent de reconnaître ce don et d’en rendre grâce. Ils réagissent en propriétaires. Ils ne veulent dépendre de personne. Et cette attitude de repli sur soi, de non reconnaissance, d’appropriation déchaîne une violence inouïe.
Mais Dieu est d’une infinie patience. Sans relâche, il envoie ses prophètes afin de restaurer la relation brisée. Dieu espère en l’homme, il le croit meilleur que sa violence, il ne cesse d’espérer en sa conversion. Mais ses prophètes seront rejetés par son propre peuple. Alors, il risque le tout pour le tout : « Ils respecteront mon fils. » A travers son fils, Dieu se donne tout entier, s’offrant aux hommes, se rendant ainsi totalement vulnérable, à la merci de la liberté de l’homme.
Mais ces hommes, pris dans l’engrenage de la toute-puissance, sont incapables de reconnaître et encore moins d’accueillir ce Dieu qui se donne, plus encore qui par-donne. « Voici l’héritier ! Allons-y ! Tenons-le, nous aurons l’héritage ! »
Et si nous relisions le déchaînement de la violence qui déferle sur notre monde à la lumière de cette parabole ? Comment y sont exercées les responsabilités ? Comme une mission reçue dont nous serons un jour comptables ? Ou bien comme une position qui nous est due, qui nous appartient, à partir de laquelle nous faisons sentir aux autres notre pouvoir ? N’y a-t-il pas en chacun de nous un vigneron qui cherche à s’approprier une fonction, ou bien les personnes qui nous sont confiées, comme si elles nous appartenaient en propre ?
La parabole nous emmène plus loin. Elle ne s’arrête pas sur ce constat d’échec. La foi de Dieu en l’homme n’est pas vaine. C’est elle qui aura le dernier mot en Jésus, son fils. « La pierre qu’ont rejeté les bâtisseurs est devenue la pierre d’angle. » Aucune situation n’est figée. Si nous accueillons Jésus ressuscité dans notre vie, alors nous donnerons du fruit en abondance, un fruit qui demeure.
Seigneur notre Dieu,
tu nous confies une vigne magnifique :
la première création, que nous avons à gérer,
et la création nouvelle, ton Royaume à venir.
Fais-nous ressembler,
non pas aux métayers homicides, assoiffés de rapines,
mais à tes fidèles serviteurs.
Fais-nous ressembler à ton Fils bien-aimé,
qui fait produire à ta vigne
le beau fruit que tu attendais.
Frère Nicolas Morin