Imaginez un instant que vous vous trouvez au bord du chemin qui mène au Jourdain. Vous contemplez cette foule bigarrée, hétéroclite, venue recevoir le baptême de Jean. Il y a quelques banquiers, assis sur leur tas d’or, qui sentent que leur vie est vide et creuse. Il y a ces hommes qui viennent de perdre leur emploi et qui se retrouvent sans ressources. Il y a ces personnes malades ou handicapées qui voudraient tant guérir. Contemplez cette foule des anonymes, foule de ceux qui aspirent confusément à une vie meilleure, qui sentent que leur vie doit changer. Ils veulent plonger dans le Jourdain pour être lavés, purifiés, et commencer une vie nouvelle. Déjà , il y a bien longtemps, leur peuple avait traversé la Mer Rouge, quittant leur terre d’esclavage pour une terre de liberté, passant de la mort à la vie promise par Dieu.
Nous pourrions nous demander, ce matin, où nous nous situons dans cette scène : restons-nous au bord du chemin, en observateurs distants ? Ou bien sommes-nous au milieu de cette foule, porteurs nous aussi de tant d’aspirations, en attente d’une libération profonde ? Avons-nous le désir de renaître de l’eau et de l’Esprit ?
Dans la foule, faisant corps avec elle, Jésus attend son tour. Peut-être est-il venu avec quelques-uns de ses amis : Simon et André, Lazare, Marthe ou Marie… Sa présence n’étonne personne. Il fait partie de ce peuple des humbles, des petits, de ces gens que l’on dit ordinaires. Jésus est vraiment l’un de nous, un frère qui partage notre espérance, nos révoltes, notre soif d’une vie meilleure. En Jésus, Dieu vient habiter nos vies les plus ordinaires et c’est là et pas ailleurs qu’il nous faut apprendre à le reconnaître et à l’accueillir.
Jésus arrive enfin au bord du Jourdain, face à son cousin Jean. Ce dernier, bien sûr, connaît bien Jésus, mais ce jour-là il découvre sa véritable identité. Jésus est comme dévoilé à ses yeux : « Voici l’Agneau de Dieu ». Cette expression est un peu curieuse pour nous. C’est ainsi que les prophètes nommaient le Messie qui devait venir, le libérateur tant attendu.
Comme nous, avec nous, Jésus plonge dans l’eau vive du Jourdain. Peut-être avez-vous fait l’expérience de vous laisser couler tout au fond d’une piscine. Le jour de notre baptême, nous plongeons dans l’eau, immergés totalement, comme on plonge en soi-même, pour atteindre le fond, le bas-fond, de notre vie, tout ce qui est laissé dans l’ombre, cette partie de nous-même qui ne respire plus, qui ne vit pas vraiment. Certains jours, comme au fond de la piscine, nos vies manquent d’air.
Et voilà que nous faisons l’expérience d’une présence, tout au fond de l’eau. Une main nous saisit et nous tire hors de l’eau, à l’air libre. Notre poitrine se dilate alors et nous pouvons enfin respirer à pleins poumons. Nous faisons l’expérience de cette vie merveilleuse qui nous est donnée. C’est comme si nous commencions à vivre vraiment. Dieu, par le souffle de son Esprit créateur, est capable de nous faire naître à nous-mêmes.
Jésus nous rejoint au plus profond de nous-mêmes, non pas pour nous écraser, nous maintenir dans la médiocrité de notre péché, mais pour nous proposer sa main tendue, pour nous offrir la liberté des enfants de Dieu.
Le ciel se déchire, le rideau se lève sur ce que nous sommes vraiment : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis tout mon amour ». Nous découvrons alors tout à la fois qui est Jésus, que nous pensions si bien connaître, et qui nous sommes : les filles et les fils bien-aimés du Père.
L’Esprit de Jésus nous habite depuis le jour de notre baptême. Quel bonheur de se lever le matin, et de se regarder dans le glace en disant : « Je suis la fille, le fils bien-aimé du Père ! »
Frères et sœurs, plus je découvre Jésus, plus j’essaie de m’ouvrir à la vie de l’Esprit en moi, et plus grandit la soif du baptême, le désir d’être plongé dans l’eau avec le Christ, de le suivre dans sa mort et sa résurrection.
Le sacrement de baptême n’en finit pas de déployer sa grâce dans nos vies. Je sais, pour en faire l’expérience, que Dieu est capable de nous faire naître à nous-mêmes, de donner vie à cette partie de nous-mêmes que nous croyions morte. Dieu nous donne, à chaque âge de notre vie, de naître à nous-mêmes, de naître à la vie de son Esprit en nous.
Tout à l’heure, nous allons nous lever et nous mettre en route ensemble pour recevoir le Corps du Christ, qui vient naître dans nos vies. Comme cette foule au bord du Jourdain, en avançant, nous dirons notre désir de changer, de renouveler notre vie et notre foi en Celui qui est la source de tout renouveau. Puisse le ciel s’ouvrir pour nous. Puissions-nous entendre l’Esprit Saint nous murmurer : « Tu es la fille, le fils bien-aimé du Père ».
Frère Nicolas Morin