OÙ ES-TU ?
Un cri douloureux retentit dans la première lecture de ce dimanche, dans le livre de la Genèse. Relisons ce passage :
« Et ils entendirent la voix du Seigneur Dieu allant et venant dans le jardin au vent du jour, et il se cacha, l’humain et sa femme, loin de la face du Seigneur Dieu, au milieu des arbres du jardin.
Et le Seigneur Dieu cria vers l’humain et lui dit : « Où es-tu ? »
Et il dit : « C’est ta voix que j’ai entendue dans le jardin ; et j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché. »
Le récit nous présente Dieu marchant de long en large dans le jardin, à la recherche de son humanité. Adam n’est pas un nom propre. Adam, en hébreu, c’est toute l’humanité, toi, moi, chacun d’entre nous.
Contemplons ce Dieu parti à la recherche de son humanité. Peut-être avons-nous connu l’angoisse d’aller chercher un enfant perdu en montagne, seul, sans repère, alors que le soir approche. J’en ai un souvenir très précis alors que j’accompagnai un groupe de jeunes…
« Où es-tu ? » « Où en es-tu de ta vie ? Qu’as-tu fait de ta vie ? Qu’as-tu fait de ce don extraordinaire que je t‘ai fait et que je ne cesse de te faire : ta propre vie ? »
La réponse est terrible : « C’est ta voix que j’ai entendue dans le jardin ; et j’ai eu peur parce que je suis nu et je me suis caché. »
L’humain est dans la fuite, il a peur, il se cache…
De quoi a-t-il peur ? De sa nudité. Il ne supporte plus le regard de l’autre sur sa nudité. On pourrait remplacer ici le terme nudité par fragilité. Adam a honte de sa fragilité. Il ne la supporte plus.
Et pourtant, un peu plus haut dans le texte, Adam poussait ce cri d’émerveillement en contemplant Ève : « Celle-ci, cette fois, est os de mes os et chair de ma chair. […] Et eux deux étaient nus, l’humain et sa femme, et ils ne se faisaient pas honte. »
L’homme et la femme se contemplent avec émerveillement. Ils n’ont pas honte de leur différence sexuelle ni de leur fragilité. Ils se savent limités, incomplets, et c’est ce manque, cette fragilité, qui les ouvre aux autres, à Dieu. Ils se reçoivent l’un l’autre dans la joie et la gratitude, sans peur.
Alors, que s’est-il passé pour que l’humain soit ainsi plongé dans la peur et la honte, au point de se cacher de son Créateur ? Il a fallu l’intervention d’un Autre, qui prend dans le texte la figure d’un serpent. C’est le Tentateur, le Diviseur. Il vient dévoyer le projet de Dieu. Il sème dans le cœur de l’humain la méfiance et la peur de son Créateur : « Tu n’as donc pas compris que Dieu est jaloux de toi ? Reprends ton indépendance, tu n’as besoin de personne, sois ton propre Dieu, alors ton pouvoir sera sans limite… »
Qui d’entre nous n’a jamais été traversé par le vertige du doute : Dieu veut-il vraiment mon bonheur ? Puis-je lui faire confiance ? En quoi ai-je besoin de Dieu pour être heureux ? Je me débrouille très bien tout seul !
Et Adam découvre qu’il est nu. Il ne supporte plus d’être une créature, de se recevoir de Dieu. Il n’est plus capable d’accueillir sa vie avec gratitude et émerveillement. Il se retrouve alors dans une terrible solitude. La solitude de l’homme livré à lui-même.
Je pense ici aux débats qui se poursuivent en ce moment sur l’aide active à mourir, autrement dit l’euthanasie. Débarrassée de Dieu, la personne se retrouve seule à décider de la valeur de sa vie. Elle n’a pas d’autre référence qu’elle-même. Ce que l’on ne dit pas, c’est que c’est la porte ouverte à toutes les manipulations, toutes les pressions des proches ou de la société en général. La fragilité n’a plus sa place dans la société. On la cache. On l’évacue. Les personnes fragiles se trouvent sans défense.
L’histoire s’arrête-t-elle à ce constat désespérant, à ce cri déchirant : « Où es-tu ? » Non, parce que Dieu ne se lasse pas de partir à notre recherche. Jésus, précisément, est venu nous redonner notre dignité, nous redonner foi en nous, foi en l’humanité. Il est venu restaurer la confiance brisée. En lui, le mal est vaincu.
C’est le sens de la petite parabole de Jésus dans l’évangile de ce dimanche : « Personne ne peut entrer dans la maison d’un homme fort et piller ses biens, s’il ne l’a d’abord ligoté. Alors seulement il pillera sa maison. » L’homme fort, dans cette parabole, c’est Satan. Jésus vient se rendre maître de la maison, notre propre vie, en ligotant Satan qui se croyait invincible. Si Jésus expulse les démons, c’est bien qu’il est plus fort que Satan. Jésus est vainqueur de tout mal. Il accomplit la promesse du livre de la Genèse qui annonçait que le mal, un jour serait vaincu.
Jésus, en quelque sorte, nous redonne à nous-mêmes, nous rend libres, heureux de nous accueillir tels que nous sommes, nus et fragiles.
Frère Nicolas Morin