Homélie du 22 mai : 6ème dimanche de Pâques – Année C

Discours d’adieux

La multiplication des paroles leur enlève de la densité et affaiblileur  signification profonde. Ainsi le trop de paroles rabâchées, répétées, serinées perd de son pouvoir. Etty Hillesum dira dans son Journal : Â« Je hais l’excès des mots. Je voudrais n’écrire que des mots insérés organiquement dans un grand silence, et non des mots qui ne sont là que pour dominer et déchirer ce silence. Â» (Pg.121)

Les mots sans silence deviennent des carcasses sans vie. Ce sont des paroles « mondaines Â», si promptes à faire complaisance envers le pire. En langage chrétien, on parlera d’une parole Â« démoniaque Â», celle qui veut flatter, séduire, qui promet le facile et l’immédiat, elle offre toujours jouissance et puissance. C’est un « Je t’aime Â» de séducteur répété mille fois à mille personnes différentes.

Les hommes habités que j’ai rencontrés se taisaient sur l’essentiel, mais leur parole était habitée, habillée de silence. C’était toute leur personne qui devenait parole. Car les vraies paroles sont issues du silence et conduisent nécessairement à ce silence. Et dire qu’il y a des gens qui sont payés pour ne  rien dire ou pire pour dire des mensonges. Ce sont des paroles  insupportables  Mais de toute façon, les mots sont de fragiles passerelles qui se cassent quand ils ne sont pas habités par le silence, l’intériorité et l’amour. Pire la passerelle en se cassant peut tuer. Nous le voyons aujourd’hui avec cette terrible guerre en Ukraine bâtie sur le mensonge.

Ces paroles mortifères sont à l’inverse de la Parole Evangélique où l’amour n’est jamais absent. Car amour et parole sont indissociables, au risque de ne plus exister l’un sans l’autre. L’amour ne saurait naître et durer sans la parole, et la parole sans amour peut conduire à l’impasse.  Et si elle est habitée de haine, elle devient assassine. Au contraire les paroles des personnes qui nous aiment réchauffent le cÅ“ur, donnent des ailes et nous font faire des pas que nous croyons impossibles. Ainsi une punition donnée à un enfant avec amour peut le sortir de son égo, mais la main du pédophile peut le blesser à tout jamais.

Après avoir beaucoup aimé, parlé, guéri Jésus a pu dire cette parole admirable « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole Â». Le test de l’amour c’est la fidélité à la Parole. Test irréfutable : car l’amour que j’ai pour Jésus se mesure au degré d’estime que j’ai pour sa Parole et à la traduction que j’en fais dans ma vie. Mais ici surgissent deux difficultés, car il n’y a rien de plus fugace, fragile et passant qu’une parole.

La première difficulté vient de l’héritage de la pensée grecque où la parole est réduite à l’expression verbale, au concept, à l’idée. On regardera surtout la faculté de parler, la capacité de s’exprimer avec des mots. On dira d’ailleurs « comme il parle bien ! Â» Tandis que pour les Sémites, la parole est beaucoup plus large. C’est toute la personne avec son vouloir, son agir, son esprit, son cÅ“ur. On pourra donc dire : « Si quelqu’un m’aime, il restera fidèle à ma Personne Â».  Il s’agira donc  d’être fidèle à cet homme inoubliable qui a été jusqu’au bout de l’amour. C’est beaucoup plus que de retenir des phrases, un texte ou des mots. Mais de rechercher avec passion, tout au long de notre vie, ce que cet Homme a pu être et vivre. Ici, nous sommes au delà des mots et des discours.

 La deuxième difficulté vient de notre civilisation qui a fort multiplié les moyens de communication. Ainsi notre mémoire et notre cÅ“ur sont encombrés d’images hâtives, de sons, de paroles vaines. Madeleine Delbrêl  dira : « Ces crieurs de mauvaises nouvelles font tellement de bruit que la Parole de Dieu ne retentit plus. Â»

 Les anciens n’avaient pas une mémoire encombrée comme nous.  C’est ainsi qu’ils nous ont transmis avec beaucoup de fidélité tout ce que Jésus a dit, fait et souffert. Pour qu’une parole devienne essentielle, c’est à dire pour qu’elle porte sens et Vie il faudra aujourd’hui beaucoup la ruminer, la répéter sans cesse, afin qu’elle « demeure Â» en nous, et que le Père et l’Esprit puissent faire leur Å“uvre dans notre demeure humaine.

Frère Max de Wasseige

« Quand la parole est juste, elle engendre la prière. Â» (Marcel Légaut)  

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