Homélie du dimanche 17 mars 2024 du frère Nicolas Morin

5ème dimanche de Carême  — Année B

SI LE GRAIN NE TOMBE EN TERRE ET NE MEURE, IL NE PORTERA PAS DE FRUITS

C’est l’histoire d’un minuscule grain de blé.

Après une vie heureuse et bien remplie, notre grain de blé se retrouve un jour dans un immense grenier, au milieu de ses compagnons.

Il est si bien, là-haut, dans son grenier. Il est au sec. Rien ne pourrait venir le perturber. Il voudrait que cela dure toujours. Chaque jour, il rend grâce pour cette vie tranquille qu’il a bien méritée.

Un matin, la porte de la grange se met à grincer. Un rayon du pâle soleil d’automne inonde la pièce. Réveillé en sursaut, notre grain de blé prend peur. Qui peut vouloir le déranger ainsi dans sa quiétude ?

Une lourde pelle racle le sol et bientôt notre grain de blé se sent saisi puis vole dans les airs pour atterrir sans ménagement dans la remorque froide d’un gros tracteur bruyant laissant échapper une épaisse fumée noire.

Il ne maîtrise plus rien. Toute sa vie bascule soudain. Il ne comprend pas. Il ne comprend plus. Tous ses repères sont balayés, anéantis. En lui, c’est la révolte : qui peut vouloir me malmener ainsi ? qu’ai-je fait pour mériter cela ? Il tempête et crie sa colère contre ce Dieu qu’il n’a jamais oublié de remercier durant tous ces jours heureux. Alors pourquoi cette injustice ? Mais le ciel reste désespérément silencieux…

Après un voyage qui lui paraît interminable, balayé par le vent froid de ce mois de novembre, le tracteur s’engage dans un étroit sentier de terre avant de pénétrer dans un immense champ. La benne se lève lentement, déversant les milliers de grains de blé dans la terre froide et humide.

Notre grain se sent mourir sur place, impuissant. Son habit doré dont il était si fier se décompose. Il n’a plus rien. Il n’est plus rien.

Une longue attente commence dans la glace et la neige de l’hiver. Un lent travail intérieur va transformer profondément notre grain de blé. Il croyait avoir tout perdu ? Derrière l’écorce tombée apparait son cœur profond, cette partie de lui-même qu’il n’avait jamais pris la peine d’explorer. Il se sent étrangement libre, comme s’il lui fallait mourir à sa vieille peau pour enfin naître à lui-même.

Alors que l’hiver laisse lentement la place au printemps s’opère un miracle si petit, si ténu, qu’il faut un regard exercé pour le voir. Une minuscule tige verte jaillit de la terre que réchauffe le soleil. De la vie meurtrie du grain de blé jaillit une fécondité nouvelle.

La tige grandit, épaissit, et bientôt apparait l’épi avec, en son sein, des dizaines de grains qui vont dorer au soleil et faire la fierté de notre grain de blé enfoui en terre. Il fallait donc qu’il meure, qu’il se laisse transformer, pour enfin porter du fruit ?

Mais voici que le temps des moissons est arrivé. L’énorme moissonneuse-batteuse coupe, sépare les grains de la tige. Celle-ci nourrira les bêtes en hiver tandis que les grains sont acheminés au moulin. L’immense meule de pierre va les broyer sous l’œil attentif du meunier. Une fine farine s’écoule dans des sacs qui, bientôt, partent chez le boulanger. De l’eau et un peu de levain suffisent pour en faire une belle pâte qui, une fois levée, est posée sur les pierres bien chaudes du four à bois.

Le curé du village a réservé un pain un peu spécial, demandant qu’une belle croix soit tracée sur sa croute dorée. En ce dimanche matin, ce pain est apporté en offrande par un paysan du village et le prêtre le saisit à deux mains, comme un trésor, et sa prière s’élève avec le pain : « Tu es béni, Seigneur, Dieu de l’univers, toi qui nous donnes ce pain, fruit de la terre et du travail des hommes ; il deviendra pour nous pain de la vie éternelle. » Puis, un peu plus tard, il redit les paroles de Jésus le soir de la Cène : « Il prit le pain, le bénit, le rompit et le leur donna en disant : « Prenez et mangez-en tous, car ceci est mon corps livré pour vous. »

Le pain rompu et partagé entre tous est non seulement nourriture pour chaque personne qui le reçoit mais aussi ferment de communion pour la communauté tout entière. Manger au même pain, c’est se reconnaître frères et sœurs.

Plus encore, nous voici invités à devenir du bon pain pour les autres, tous les autres, ma famille, mes amis, mes voisins, jusqu’aux plus lointains. Celui qui partage le pain « en mémoire du Seigneur » revêt le tablier pour laver les pieds de ses frères et sœurs en humanité. Telle est la moisson promise par le Père.

Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis, afin que vous alliez, que vous portiez du fruit, et que votre fruit demeure. Alors, tout ce que vous demanderez au Père en mon nom, il vous le donnera. Voici ce que je vous commande : c’est de vous aimer les uns les autres (Jn 15,16-17).

Frère Nicolas Morin

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